Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/235

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à compter avec cette grande capricieuse, cette grande improvisatrice de l’inattendu qui s’appelle la nature humaine. Il ne faut cependant rien exagérer. Ces influences existent, elles ne devraient point exister ; mais elles ne suppriment pas l’essence politique d’une situation ; elles ne sont fortes qu’avec ceux qui sont faibles. Elles avaient été la cause première, elles restaient peut-être l’embarras de cette crise de décembre. Ce n’est point par elles toutefois que le ministère se trouvait dans une condition ébranlée et moralement diminuée. Elles n’eussent point existé que le ministère n’eût pas moins ressenti dans sa marche, dans son action, l’effet du travail de conversion qui se faisait en lui. Et puis, s’il ne se rencontrait pas des hommes toujours disposés à accepter toutes les situations, se piquant d’émulation dans la complaisance, déguisant souvent leur impatience du pouvoir sous la forme d’un dévouement sans conditions, si la reine n’avait pas été accoutumée à trouver toujours des combinaisons toutes prêtes, des présidens du conseil plus qu’elle n’en désire, ces crises produites par des influences irrégulières n’arriveraient pas, ou du moins elles seraient circonscrites et neutralisées. Sœur Patrocinio ou d’autres auraient peu d’importance.

Il faut dire en toute franchise un mot dont se plaindront peut-être les hommes publics de l’Espagne. Presque tous, plus ou moins, beaucoup si l’on veut, se servent de ces influences ou s’accommodent avec elles ; ce n’est que lorsqu’ils sentent le terrain se dérober sous leurs pieds qu’ils songent à protester, à se plaindre, ce qui équivaut de leur part à dégager leur responsabilité au dernier moment, à se faire un titre de leur retraite en laissant la reine à découvert, — lorsqu’un peu de fermeté et d’indépendance chez les hommes de tous les partis à l’heure voulue suffirait pour arrêter la politique espagnole sur cette pente périlleuse. La reine Isabelle d’ailleurs n’est rien moins qu’opiniâtre dans ses volontés. Avec de la finesse naturelle d’esprit, de la pénétration, un sentiment très espagnol, elle n’est nullement insensible à ce qui peut la servir en servant le pays. Elle peut se laisser aller à des influences, céder à des obsessions ; mais quand on lui parle sérieusement, — plus d’un ministre l’a éprouvé, — elle écoute, et même elle s’arrête. Il y a des hommes à qui elle se fie et dont elle recherche volontiers les conseils. Le général Lersundi, je le disais, est un de ces hommes ; c’est lui peut-être qui contribua le plus à hâter la solution de la crise de décembre. Plus que tout autre, par son passé, le général Narvaez est certainement fait pour avoir de l’ascendant auprès de la reine. Il n’y a qu’un malheur : toutes les fois que le général Narvaez revient au pouvoir, il lui semble qu’il doit procéder d’autorité, que tout doit plier devant lui, et avec des qualités reconnues il finit par avoir moins d’influence qu’on ne le croirait dans les choses les plus