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délicates. Là est peut-être la clé de cette facilité avec laquelle la reine avait accepté la retraite d’un cabinet qui, à tout prendre, était seul en mesure pour le moment de rester au pouvoir. Là est peut-être l’explication de cette crise mêlée de politique et de questions intimes.


III

Quoi qu’il en soit, c’est à travers ces insaisissables péripéties que le ministère reconstitué pouvait arriver à l’ouverture des chambres. L’embarras n’était point dans un vote : il y avait dans le congrès une majorité ministérielle décidée, plus que suffisante. Les progressistes étaient absens. L’union libérale était représentée sans former un faisceau bien redoutable. Les autres groupes, sur lesquels on ne pouvait compter que conditionnellement, si on se rapprochait d’eux, les néo-catholiques avec M. Nocedal, la fraction dirigée par le comte de San-Luis, ces groupes, dangereux, il est vrai, par leurs affinités, étaient peu nombreux. En un mot, l’opposition existait sans être inquiétante. Le péril n’était pas là ; il était dans le ministère lui-même, qui s’était relevé de la crise de décembre avec une apparence d’ascendant, mais qui n’avait pas moins reçu une sérieuse atteinte, qui restait incertain dans des conditions plus que jamais incertaines. Il fallait s’affirmer, se mouvoir entre les partis, dérouler toute une politique, et c’est là que commençait l’épreuve décisive. Ne rien faire n’était pas même une ressource : il y a des momens où la force des choses contraint invinciblement les situations à se dessiner, à prendre leur vraie couleur. C’est ce qui arrivait par degrés, à mesure que les circonstances se développaient et qu’on s’avançait sur ce terrain mal affermi, travaillé par toutes les passions. Une question s’est élevée et a enflammé toutes les polémiques dans ce que j’appellerai cette seconde période du cabinet Narvaez, une question dans laquelle viennent se confondre toutes les autres. En restant tel qu’il avait été primitivement constitué, moins M. Llorente, le ministère était-il le même qu’aux premiers jours ? N’avait-il pas sensiblement changé au contraire ? Sa politique, après avoir pris tous les dehors du libéralisme, ne tendait-elle pas incessamment à revenir, comme par une aimantation secrète, vers la réaction ? N’était-ce pas tout simplement la résurrection graduelle d’un ministère modéré quelconque d’autrefois, dépaysé dans des circonstances nouvelles ? M. Gonzalez Bravo, qui est de force à soutenir toutes les luttes de parole et à y briller, mettait toute son éloquence à prouver que rien n’était changé, que le ministère, libéral à son origine, n’avait pas cessé de l’être, que tout était pour le mieux. Une voyait pas qu’un gouver-