Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/323

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est à vos bons services et aux leçons que vous m’avez données que je dois d’avoir acquis une telle position dans le monde. »

tout en croyant poursuivre une œuvre divine, le clergé anglican cherche à l’atteindre par des moyens humains et matériels. À ce dernier point de vue, l’église n’échappe point chez nos voisins eux-mêmes aux traits de la critique. Les uns lui reprochent sa grande richesse, d’autres la confusion de ses doctrines et les divisions qui la déchirent. Ce sont autant de griefs dont il faudra tenir compte dans une prochaine étude sur la vie religieuse au milieu des villes. Dès ce moment, je suis du moins frappé de l’harmonie qui existe entre le protestantisme et les institutions anglaises. Dans d’autres contrées de l’Europe, la question religieuse a été plus d’une fois une source de conflits pour la société. La nation avait-elle le bonheur de conquérir après une révolution les formes du gouvernement représentatif, elle se trouvait le lendemain en face d’un ordre d’idées immobile et indépendant des pouvoirs civils. Le nouveau gouvernement avait alors à lutter dans les consciences contre une loi au-dessus de la loi, contre une autorité absolue supérieure à celle de l’état, contre un souverain étranger et infaillible, dont les oracles, quelquefois mêmes les anathèmes, limitaient à chaque pas la marche du progrès. Rien de pareil n’a jamais existé en Angleterre depuis la révolution de 1688. L’état, en réduisant la suprématie de l’ordre spirituel et en mettant les institutions religieuses d’accord avec les institutions politiques, avait écarté d’avance une des principales causés de division. Cette absence d’absolutisme dans les croyances a rendu facile au-delà du détroit le triomphe du régime constitutionnel, car déjà s’était enraciné dans les mœurs une religion appuyée sur le grand principe de la liberté d’examen, sur la responsabilité individuelle de l’homme devant Dieu et devant la conscience. Depuis ce temps-là, les Anglais, exercent un contrôle perpétuel, sinon sur le fond des dogmes du moins sur les formes extérieures qui les consacrent. Chez eux, le même pouvoir qui fait la loi est aussi celui qui gouverne les affaires de l’église nationale. Le clergé, marié, fonctionnaire de l’état, lié au maintien de la constitution, ne forme point dans la société une caste à part ; il peut être animé de l’esprit de corps, mais ses intérêts et ses devoirs le ramènent sans cesse vers les grands courans de l’opinion publique. L’église unie à l’état forme ainsi la clé de voûte de l’édifice politique, et cet édifice même ne subsiste en Angleterre que par le consentement de la nation.


ALPHONSE ESQUIROS,