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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/443

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deux heures, il vociféra ainsi sans repos, à la façon d’une bête sauvage emprisonnée. De temps en temps son « enthousiasme » s’évanouissait tout d’un coup, il s’essuyait le front, s’asseyait sur la balustrade, les jambes pendantes, et commençait sur un ton goguenard une conversation familière avec le public ; puis il bondissait de nouveau, comme saisi d’une commotion électrique, et entassait sur un adversaire imaginaire toutes les injures du vocabulaire des cabarets. Il s’arrêtait par momens, l’air hagard, et semblait regarder fixement quelqu’un, comme s’il eût voulu le défier des yeux. L’ensemble de son discours était long, lourd, pâteux, interminable ; il ressassait cent fois les mêmes choses dans les mêmes termes. Quand l’attention de l’auditoire paraissait fatiguée, il trouvait pour la ranimer des inspirations sublimes. « Je regrette, disait-il en parlant de M. Harris, du Maryland, et de sa boutade violente dans la conférence de Chicago, — je regretterai toujours qu’il ne se soit pas levé un nouveau Brutus pour le frapper au cœur ; » puis il l’appelait « cet infâme coquin qui mérite non-seulement d’être jeté à la porte d’une convention nationale, mais d’être chassé à coups de pied de toute société décente. » — Alors les hurrahs éclataient de tous côtés. — « Oui, nous leur ferons une guerre sanglante, une guerre impitoyable, jusqu’au couteau (bloodred war unto the knife.) » — « Si vous êtes loyaux, faites comme moi, allez droit aux copperheads, aux traîtres, et dites-leur : Sir, vous êtes un misérable, un gredin, une canaille, and a damned thief. Quant à moi, je le leur dis en face : Oui, monsieur, j’espère bien que vous serez pendu. » — « Si ces misérables veulent approcher de l’urne électorale, nous les fusillerons ! » Et ce n’est rien que de lire de sang-froid ces atrocités : il fallait entendre la voix, le ton, il fallait voir les contorsions, les yeux injectés, la bouche écumante de l’homme ; l’impression en était pénible comme la vue d’un chien enragé. Il fallait entendre aussi les acclamations des auditeurs, leurs cheers joyeux et prolongés chaque fois qu’un bon gros blasphème sortait de sa bouche. On se serait cru dans une réunion de loups sanguinaires ; pourtant ces bonnes figures rudes et honnêtes n’accusaient aucune férocité. L’honorable orateur ne faisait que sacrifier aux goûts populaires : le peuple américain, surtout le peuple de l’ouest, aime cette grosse viande de boucherie crue et sanglante. A la fin du discours, quand le général, dans une péroraison de dix minutes, grinçant des dents comme une hyène, sifflant comme un serpent, se tordant comme un damné, déchargea tout d’une haleine sa plus grosse artillerie d’injures et termina le bouquet en adjurant les bons citoyens de « cracher avec lui sur ces puantes charognes, » l’enthousiasme, l’admiration, le ravissement, n’eurent plus de bor-