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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/479

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poète d’Aquinium, là l’indignation stoïcienne de Perse, l’ingénieuse causticité d’Horace, ailleurs la verve antimonacale de Rutebœuf ou d’Henri Estienne, chez quelques-uns de nos bohèmes le franc-parler de leur aïeul Villon, modifié, contenu par la crainte de Dieu… et des sergens. On pourrait citer des sermons, des lettres pastorales dont l’accent amer rappellerait les Epitres macaroniques du temps de la réforme, et il n’est pas jusqu’aux séances solennelles de l’Académie où, sous les fleurs du compliment officiel, sous les perfides aménités de l’accueil cérémonieux, ne soient parfois cachées de terribles « exécutions » à rendre jaloux les plus habiles tortionnaires du temps jadis.

Sous toutes ces formes, variées, nuancées à l’infini, la satire se fait insaisissable comme Protée, ou comme les vices, les abus, les ridicules qu’elle prend corps à corps. On ne la reconnaît plus. De là cette erreur que nous signalions tout à l’heure. Le satirique d’autrefois exerçait en quelque sorte une profession spéciale, il avait son rôle à part et pour ainsi dire son enseigne. Que sa puissance y gagnât, on n’en saurait douter. Tout entier dans son œuvre, il y portait une gravité, une concentration, qui manquent aux polygraphes contemporains. Ceux-ci s’éparpillent et s’émiettent au jour le jour, laissant parfois entrevoir d’admirables dons naturels, laissant parfois aussi déplorer l’incroyable négligence qu’ils mettent à cultiver ces dons précieux. Ils y sont en quelque façon autorisés par la complaisante indulgence, disons mieux, l’indifférence de leur auditoire, indifférence qui gagne jusqu’à leurs victimes les plus maltraitées. Six cents ans avant l’ère chrétienne, chassé de sa patrie par les tyrans qui la gouvernaient, Hipponax força l’un d’eux à se pendre de désespoir. Nos bannis peuvent recourir à la même vengeance, sans craindre qu’elle soit aussi complète. On ne voit pas quelle sanglante ironie, quelle cruauté lyrique atteindrait, sous l’épaisse enveloppe qui les protège, les nombreux et puissans bénéficiaires de la comédie qui se joue sous nos yeux. Ils ont pour les flèches que leur décoche en pleine poitrine une muse inexorable l’impassible dédain qui sied à une invulnérabilité bien garantie. Peut-être le poussent-ils un peu loin ; mais leur intrépidité n’est pas sans motifs. La satire, qui est en définitive une négation presque toujours violente et sans mesure, n’a rien par elle-même de sympathique et d’entraînant. Parmi nos instincts, elle flatte ceux qui nous isolent et dont l’intime satisfaction est un dissolvant amer. Elle sert d’antidote à ces banalités emphatiques dont les multitudes aiment à se leurrer, et dont on repaît, sans qu’elles s’en lassent jamais, leur immortelle candeur ; mais le poison est doux, le remède est âpre, et de l’un à l’autre le choix reste facile à prévoir.

Entraîné, comme malgré nous, par les généralités d’un tel