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sujet, nous aurions peut-être dû nous rappeler plus tôt que l’écrivain auquel ces pages sont consacrées n’a de près ni de loin le moindre rapport avec les représentans actuels de la satire politique. Sur ce terrain mobile et confus, il n’a posé, semble-t-il, qu’un pied mal assuré ; en sa qualité de conservateur du groupe de la jeune Angleterre, il décoche volontiers aux radicaux de son pays quelque boutade capricieuse ; mais, par une inconséquence flagrante, on le voit ensuite s’incliner devant le représentant couronné de la démocratie française[1], et du même train célébrer les victoires de Garibaldi, sans trop s’inquiéter de confondre ainsi dans une admiration commune deux individualités passablement hostiles et deux tendances absolument opposées. Ne nous étonnons pas trop de ces antinomies : le nouveau torysme en est fait de toutes pièces, et l’inéluctable nécessité de se rendre populaire le conduit parfois à d’étranges compromis, à de surprenantes contradictions, que nous pourrions du reste noter ailleurs et retrouver plus près de nous, si telle était notre affaire.

A quoi bon cependant ? La politique est à peine effleurée dans les poèmes de M. Austin, et nous n’irons pas lui chercher querelle sur l’ordre composite des bouquets qu’il assortit à ses heures d’enthousiasme, Mieux vaut chercher à savoir ce que pense des travers du monde où il vit le chantre inspiré de la Saison. Fort peu de nos lecteurs ignorent sans doute ce qu’on nomme ainsi chez nos voisins. C’est le temps où, désertant ses châteaux, l’aristocratie britannique vient passer à Londres sa grande revue de printemps ; ce sont ces trois ou quatre mois durant lesquels on la voit s’abandonner avec une frénésie sérieuse, et comme pour s’acquitter d’une austère mission, au tourbillon des fêtes incessantes, des prodigalités ruineuses, au dur labeur des nuits sans repos et des plaisirs sans relâche. Il suffit d’avoir côtoyé cette espèce de maëlstrom mondain pour prendre en pitié sincère ceux qu’il emporte dans sa spirale de raouts, de concerts, d’exhibitions et de bals. Dès la première quinzaine, on peut constater chez eux une lassitude particulière, mélange de fièvre et d’ennui, qui doit prendre plus tard les caractères d’un vrai désespoir. Leur joie fait peur, tant on y entrevoit de soucis cachés et de poignantes préoccupations. On dirait une mauvaise plaisanterie qui s’aggrave en se prolongeant, et qu’il faut subir néanmoins sous peine de trahir quelque vice d’éducation. Chaque matin, bien évidemment, on suppute les jours qui restent et les guinées qui ne sont plus. Vers les dernières semaines, les faibles santés et les portefeuilles dégonflés trahissent l’épuisement par mille symptômes. L’inquiétude de leurs nobles

  1. Self-crowned Democrat (The human Tragedy, st. CLXXVI).