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Alexandre est, comme Apollonius, beau, imposant, spirituel et adroit, pythagoricien zélé, très dévot à Esculape, grand devin et de plus élève du sage de Tyane. Avec tout cela, c’est un imposteur infâme qui fait servir ses beaux dons à la poursuite des fins les plus honteuses. Ce portrait sans doute est chargé comme tous ceux qu’a faits Lucien. Il ne s’est pas plus attaqué à Apollonius lui-même qu’il n’a voulu frapper un chrétien déterminé dans son Peregrinus. Il cherchait à concentrer en toute liberté sur un personnage de fantaisie toutes les noirceurs du genre ; mais il a fait la caricature de cette même réalité dont Philostrate nous a livré un tableau plus que flatté. L’histoire de la philosophie nous parle encore d’un certain Anaxilaüs, de Larisse, pythagoricien errant du siècle d’Auguste, moins fameux par sa sagesse que par sa réputation de magicien, ayant écrit sur l’art magique, cité par Pline, et forcé, comme Apollonius, de quitter l’Italie, d’où un décret impérial avait banni les magiciens. Tous ces thaumaturges pythagoriciens portent donc au front un stigmate qui éveille le soupçon. Par conséquent il est naturel que, malgré les efforts de Philostrate pour idéaliser un magicien en vogue dans l’Asie-Mineure, les savans païens d’Alexandrie l’aient jugé trop au-dessous de la haute position qu’on avait voulu lui assigner, et qu’ils aient refusé de le prendre pour l’idéal du sage ami des dieux. Ils préférèrent opposer au Christ des Évangiles une grandeur païenne moins sujette à caution.

En effet, et c’est une preuve nouvelle du lien que nous avons cru reconnaître entre l’œuvre de Philostrate et le mouvement de la pensée religieuse du IIIe siècle, le même besoin d’une incarnation de la vérité et de la sainteté dans une vie humaine, le même sentiment de la puissance qu’une telle incarnation confère à un idéal religieux, se retrouvent chez les illustres païens d’Alexandrie aussi bien que chez le favori de l’impératrice Julia. C’est ce que le docteur Baur a parfaitement démontré. Le temps devait venir en Occident, comme il était venu depuis plusieurs siècles déjà dans cet extrême Orient que Philostrate prétendait connaître, où la vieille religion de la nature s’efforcerait de devenir morale. Et par quel côté se prêtait-elle jusqu’à un certain point à cette transformation, qui du reste jurait avec son principe ? C’était évidemment par ses dieux libérateurs et guérisseurs, Apollon, Esculape, Hercule, tous dieux-soleils. Apollon particulièrement fut dans la Grèce païenne le dieu de la purification morale comme il était celui de la purification physique. C’est à son sanctuaire de Delphes que les criminels allaient chercher un refuge contre les Érynnies vengeresses. N’avait-il pas donné lui-même l’exemple de la pénitence en gardant les troupeaux d’Admète ? Eh bien ! en rapport avec ce cours d’idées, il est une grande