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indifférent. La foi est un grand sentiment de sécurité pour le présent et pour l’avenir, qui repose sur la confiance en un être infini, tout-puissant et impénétrable. L’essentiel est que cette foi soit inébranlable. Quant à la manière dont nous nous représentons cet être, elle dépend de nos autres facultés, des circonstances mêmes, et elle est tout à fait indifférente. La foi est un vase saint dans lequel chacun est prêt à sacrifier, autant qu’il est en lui, son sentiment, sa raison, son imagination. La science est tout le contraire : l’essentiel n’est pas le savoir, c’est l’objet, la qualité, l’exactitude et l’étendue du savoir. »

L’action de Lavater fut cependant assez forte pour entraîner Goethe à sa suite dans le voyage pieusement triomphal qu’il accomplit sur les bords du Rhin, à Ems, à Nassau, à Coblentz, à Cologne. Lavater allait bénissant, convertissant, sans oublier de prêcher son petit système, et mêlant si bien les deux prédications qu’il devenait difficile de les distinguer. Chemin faisant, il faisait faire le portrait d’une foule d’hommes diversement célèbres, plus ou moins marquans, qu’il intéressait ainsi personnellement au succès d’un livre dans lequel ils devaient figurer eux-mêmes. Il procédait de même avec les artistes, les pressant tous de lui envoyer des dessins pour son grand ouvrage, demandant de divers côtés des gravures sur cuivre, et en même temps recueillant à mesure ses observations, notant ses expériences, transformant de plus en plus son voyage en une sorte de prospectus en acte de son grand ouvrage. Les villes lui faisaient fête, les châteaux se disputaient l’honneur de sa présence. Quelques nobles dames surtout, telles que Mme de Stein et Mme de La Roche, qui étaient beaucoup mieux disposées que les hommes aux mystères de la spiritualité, faisaient de leur enthousiasme aristocratique la plus efficace réclame au mystique voyageur. Goethe, tout illustre qu’il fût déjà et bien qu’auteur des Souffrances du jeune Werther, n’était guère, comme il le dit plaisamment, que la queue vaporeuse de la grande comète. Il se fatigua de ce rôle et fit des réflexions. Il ne put se dissimuler qu’il y avait dans tout ce qui se passait autour de lui un singulier mélange de spiritualité et de diplomatie candide, que les voies terrestres et mystiques se mêlaient parfois devant la marche incertaine du prophète. Il l’excusait sans doute, il se disait que son célèbre ami avait véritablement des desseins très élevés, et qu’il pouvait bien croire de très bonne foi que la fin justifie les moyens ; mais enfin, en observant de plus en plus Lavater, en lui découvrant librement son opinion, en recevant en retour ses confidences, il arriva à comprendre que l’homme éminent éprouve irrésistiblement le désir de répandre au dehors l’idée divine qui est en lui, qu’ensuite malheureusement il entre en contact avec le monde grossier, et que