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les mœurs anglaises par une imitation médiocrement heureuse de l’élégance de ton et de manières attribuée à la cour de Versailles. C’était aussi une mode de l’époque, et d’assez tristes modèles engendraient de plus tristes copies. Jusque dans sa vieillesse, George IV, sans être jamais venu à Paris, mettait quelque prétention à bien connaître la haute société française de l’ancien régime, et il en citait à tort et à travers les noms et les souvenirs avec plus d’assurance que d’exactitude.

Aucune de ces habitudes n’était selon le cœur de son père. Cette vie royalement bourgeoise, ce mélange de décorum et de bonhomie qui en faisait un monarque assez digne et un père de famille assez simple, son attachement à toutes les bienséances morales et son jaloux amour d’autorité formaient un contraste trop marquant avec le laisser-aller quelque peu cynique d’un prince joueur, buveur, viveur, et le respect exagéré peut-être que la régularité du père lui obtenait de l’opinion publique se tournait en un sentiment contraire à l’égard du fils. C’étaient autant de motifs pour que le jeune héritier de la couronne, fidèle à l’exemple des deux princes de Galles de sa maison, se séparât de la cour par ses relations et ses opinions, et cherchât hors du parti du gouvernement l’indulgence et la sympathie. Il se lia donc avec l’opposition, plutôt par une sorte de camaraderie que par une vraie communauté de principes. Fox n’était pas sévère pendant une trop longue partie de sa vie, il n’eut pas le droit de l’être, Sheridan encore moins, et Carlton-House fut à la fois un lieu de plaisir et d’intrigue, où Pitt ne pouvait abaisser son regard chaste et superbe sans scandale et sans dédain. A peine quelquefois, en présence d’un flacon de porto, devait-il se sentir une ombre d’indulgence pour un des vices de l’héritier des trois royaumes.

Au sein d’ignobles plaisirs, le prince de Galles n’avait pas perdu une faculté qui s’efface quelquefois bien vite dans une âme blasée. Il était resté capable d’aimer avec passion, de perdre du moins pour une femme qui le charmait le sang-froid et la raison. Il l’a prouvé plus d’une fois dans sa vie, mais jamais avec plus d’entraînement que lorsque, très jeune encore, il s’attacha à Mme Fitzherbert : il avait vingt-deux ou vingt-trois ans. Cette femme, qui a intéressé tous ceux qui l’ont connue, était une veuve fort belle qui, deux fois mariée, s’était irréprochablement conduite. Aussi ne se laissa-t-elle point séduire aisément; elle quitta d’abord l’Angleterre, laissant son amant dans le désespoir. Il en donnait toutes les preuves, lorsqu’il allait exhaler sa douleur chez la maîtresse de Fox : il pleurait, il se frappait le front, il s’arrachait les cheveux, il se roulait par terre, et jurait d’abandonner son pays, de renoncer à la couronne, de vendre son argenterie et ses joyaux,