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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/345

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d’amasser ce qu’il fallait pour s’enfuir en Amérique avec l’objet de ses affections. Lorsque Mme Fitzherbert revint du continent, il parut bientôt que cet amour était devenu plus heureux; mais on sut ou du moins on soupçonna qu’un mariage secret avait uni les deux amans. Dès que le bruit s’en était répandu, Fox avait écrit au prince une lettre fortement motivée pour le détourner de cette démarche désespérée. Non-seulement un mariage contracté à l’insu du roi et du parlement n’était pas valable, mais Fitzherbert était catholique et dans l’état de la législation et de l’opinion une telle union, odieuse au peuple anglais, était absolument interdite. Il y allait peut-être pour le prince de la couronne d’Angleterre. Dans une courte réponse, ce dernier affirma la fausseté des bruits que la malveillance avait répandus. « Ils n’ont, dit-il, aucun fondement, ils n’en ont jamais eu aucun.» Sa lettre est du 11 décembre; son mariage eut lieu le 21 (1785). Il fut tenu assez secret pour que Fox ne conçût aucun doute sur l’assurance qui lui avait été donnée. Probablement il la fit renouveler plus tard, car deux ans après, interpellé sur un fait dont le seul soupçon indisposait le parlement, il le nia d’un ton péremptoire et se dit autorisé. Mme Fitzherbert indignée éclata en plaintes, et ne voulut le revoir de sa vie. Le prince lui laissa croire que Fox avait parlé sans autorisation, dit à Grey qu’il était allé trop loin, et le pria de donner quelque explication atténuante. Grey s’y refusa. « Si personne ne veut s’en charger, dit le prince, Sheridan le fera. » Sheridan en effet à la première séance débita quelque phrase inintelligible et sentimentale sur la délicatesse des femmes et sur le regret qu’avaient éprouvé le prince, et surtout Mme Fitzherbert, de ce qui s’était passé l’autre soir. Cette explication, qui n’expliquait rien, ne put être prise par Fox pour un démenti. Il paraît que la cérémonie secrète avait été assez irrégulière, et Mme Fitzherbert a dit plus d’une fois qu’elle ne l’avait pas exigée, qu’elle s’était confiée à l’honneur du prince. Lui seul alors y aurait mis du prix, et en effet c’est un ministre protestant qui avait officié. Il semble qu’un désir romanesque de solenniser cette union l’ait conduit plutôt qu’un besoin moral et religieux de la voir consacrer. Du reste, on dit que la conduite ultérieure de Mme Fitzherbert lui a mérité les égards de presque toutes les branches de la famille royale.

Elle conserva longtemps pour son amant un attrait sérieux. Il était infidèle, mais il revenait à elle. Ses inclinations changeantes ressemblaient souvent à des sentimens véritables; sa tête s’échauffait il perdait le sommeil et le repos, et, mettant à profit ses peines, il en augmentait artificiellement les apparences pour se rendre intéressant. On raconte qu’il se faisait saigner jusqu’à trois fois le même jour par des chirurgiens différens, pour aller ensuite,