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testament. Point de bibliothèque, aucun livre. Un jour, mon ecclésiastique, qui est savant et libéral, s’abonne à deux journaux français ; quelqu’un lui fait visite. « Comment, vous avez un journal français ! » Le visiteur touche des mains le journal français, cette chose tombée du ciel, miraculeuse. Un quart d’heure après, l’ecclésiastique va se promener ; la première personne qu’il rencontre lui dit : « C’est donc vrai ? vous avez un journal français ? » La seconde personne fait de même. Le bruit s’était répandu en un instant, comme un rayon de lumière dans une chambre de cloportes.

Une ville ainsi conservée est comme un Pompéi du moyen-âge. On monte et l’on descend dans de hautes rues étroites, pavées de dalles, bordées de maisons monumentales. Quelques-unes ont encore leur tour. Aux environs de la Piazza, elles se suivent en files, alignant leurs énormes bossages, leurs porches bas, leurs étonnantes masses de briques percées de rares fenêtres. Plusieurs palais semblent des bastions. La Piazza en est bordée, et nul spectacle n’est plus propre à mettre devant l’imagination les mœurs municipales et violentes des anciens temps ; elle est irrégulière de forme et de niveau, étrange et frappante comme toutes les choses naturelles que n’a point déformées ou réformées la discipline administrative. En face s’étale le Palazzo-Publico, massif hôtel de ville, bon pour résister aux coups de main et jeter les proclamations à la foule assemblée sur la place. On en a lancé bien des fois par ces fenêtres ogivales, et aussi des corps d’hommes tués dans les séditions, Une bordure de créneaux le hérisse ; la défense en ce temps-là se rencontre sous l’ornement. A sa gauche, une tour gigantesque élève à une hauteur prodigieuse sa forme svelte et son double renflement de créneaux ; c’est la tour de la cité qui plante à la cime son saint, son drapeau, et parle de loin aux cités voisines. Au pied, la fontaine Gaja, qui pour la première fois au XIVe siècle, parmi les cris de joie universels, apporta de l’eau sur la place publique, s’encadre sous le plus élégant baldaquin de marbre.

Le soir baissait, je ne suis entré qu’un instant dans la cathédrale. L’impression est incomparable ; celle que laisse Saint-Pierre de, Rome n’en approche point ; une richesse et une sincérité d’invention étonnantes, la plus admirable fleur gothique, mais d’un gothique nouveau, épanoui dans un meilleur climat et parmi des génies cultivés, plus serein et plus beau, religieux et pourtant sain, et : qui est à nos cathédrales ce que les poèmes de Dante et de Pétrarque sont aux chansons de nos trouvères ; un pavé et des piliers de marbre où s’étagent des assises tour à tour noires et blanches, une légion de statues vivantes, un mélange naturel de formes gothiques et de formes romaines, des chapiteaux corinthiens, des caissons et des médaillons qui portent un labyrinthe d’arceaux dorés,