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djurdjurien, coin laissé dans l’ombre et qu’on se plaît à faire passer inaperçu dans l’ensemble de la domination romaine ? Pour être restreint, le sujet ne laisse pas d’être sérieux, car l’histoire prête aux peuplades djurdjuriennes d’alors le même caractère guerrier, les mêmes instincts de liberté qu’à celles de nos jours : or, quand on songe que les Kabyles, bien que devenus musulmans, ne se sont jamais assimilés ni avec les Arabes ni avec les Turcs, quand on voit leur esprit d’indépendance apparaître dans toute sa force, même antérieurement à l’islamisme, n’en doit-on pas conclure qu’il n’est pas subordonné à ce souffle de fanatisme religieux qui entretient au cœur de l’Arabe l’espoir sacré de la délivrance ? Prouver que l’amour de l’indépendance était aussi ardent au sein du Djurdjura avant le mahométisme que dans les temps modernes, c’est appuyer la thèse que nous avons soutenue quand nous attestions que les Kabyles se sont battus contre la France pour l’honneur plutôt que pour la foi, qu’ils placent leurs devoirs religieux après leurs immunités civiles, après les intérêts de leur commerce, et que, si leur vainqueur respecte en eux le citoyen et favorise le commerçant, il aura de moins en moins le fanatique à redouter. Au surplus, le temps semble venu de démentir cette vieille formule qui propose l’imitation du système romain comme un moyen de succès infaillible en Algérie. Qu’on suive avec impartialité les luttes et la politique de Rome dans la Grande-Kabylie[1], que sur le même terrain, vis-à-vis du même peuple, le plus belliqueux d’Afrique et rendu plus fier par des siècles d’indépendance, on vienne alors placer en regard de l’action romaine l’action française maintes fois gênée pourtant, comme celle de Rome ne l’était point, par les exigences de la politique extérieure, — et l’on jugera si la France, à sa manière, n’a pas su faire plus et faire mieux.


I

Quels liens de parenté rattachent les Kabyles d’aujourd’hui à la race ancienne du Djurdjura ? Comment renouer entre les temps romains et les nôtres la chaîne de l’histoire ? Première question nécessaire qu’il faut chercher à résoudre en remontant rapidement le cours des âges.

Époques turque, arabe, byzantine, vandale et romaine, voilà ce qu’on peut appeler avant les temps actuels les époques historiques de l’Algérie. Les Kabyles de notre Djurdjura, on les reconnaît aisément,

  1. Les élémens fournis sur cette matière par les auteurs anciens sont souvent bien incomplets ; mais des découvertes épigraphiques et archéologiques récentes, consignées pour la plupart dans la Revue africaine, savant recueil d’histoire et d’archéologie algériennes, nous offriront une aide précieuse.