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envoie au chef-lieu du comté la copie des actes qu’il a dressés. Il n’y a pas jusqu’aux mutations, aux testamens, aux donations, aux contrats de vente, qui ne soient collationnés avec un soin merveilleux et copiés tous sur un registre monstre qu’on garde à Boston dans un édifice de granit et de fer, bâti tout exprès par l’état. — Le gouvernement n’est pas élu de toutes pièces, comme dans l’ouest, il est confié annuellement à un seul dépositaire qui choisit lui-même ses ministres et partage avec eux la responsabilité exécutive. Le gouverneur n’est pas inéligible après une ou deux années de pouvoir ; il peut être réélu jusqu’à sept et dix fois. Je vous a dit comment la justice était organisée dans l’état de Massachusetts, et quelle autorité singulière lui donnait le double caractère, si rare dans une démocratie, de l’indépendance et de la durée. En un mot, cette démocratie est aussi conservatrice que libérale, et c’est ici que doivent venir ceux des admirateurs des institutions républicaines qui ont besoin de réchauffer leur enthousiasme.

Voyez combien l’origine des sociétés, comme celle des gouvernemens, pèse sur leur avenir. Que de jeunes branches sont venues se greffer depuis deux siècles sur le tronc vermoulu de la vieille colonie puritaine ! Que d’élémens nouveaux et corrompus sont venus s’y mêler ! Mais il y a dans sa constitution primitive quelque chose d’indélébile qui survit aux hommes, et comme une semence morale qui continue à croître dans la terre étrangère des générations nouvelles. C’est un foyer où l’on jette toute sorte d’alimens étrangers, mais d’où s’élève toujours la même flamme. Les barbares ont passé sur le monde romain sans le détruire : l’invasion des peuples modernes n’a pas étouffé le germe déposé sur cette côte déserte par les cent pèlerins de Plymouth.

Voulez-vous comprendre la société qui en est sortie, rappelez-vous seulement son origine. Ce n’est pas la soif du gain, ni la misère qui l’a formée ; c’est le besoin de cette indépendance morale qu’on y respire encore aujourd’hui. Les premiers citoyens de la vieille république n’étaient point des affamés ni des émancipés de la veille, venant faire au hasard, avec leurs passions plus qu’avec leur raison, l’épreuve orageuse de la démocratie ; c’étaient des hommes riches, éclairés, sévères, qui s’expatriaient pour être libres, et dont le premier soin, avant même de toucher la terre où leurs espérances bâtissaient l’Amérique future, était de proclamer ces principes qui sont encore la loi de leurs descendans. Ils arrivaient égaux, eux aussi, mais égaux d’aisance et de lumières, et non pas d’ignorance et de pauvreté. Rien ne pouvait les attirer sur cette plage sablonneuse, si ce n’est le besoin d’une solitude écartée du monde où rien ne troublât leur liberté. Tandis qu’aujourd’hui le flot