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parcourir l’Angleterre. Il se fit beaucoup de bruit autour d’eux, les meetings de Birmingham, Sheffield, Leeds, Edimbourg, etc., retentirent de paroles enthousiastes et passionnées ; mais de toutes ces démonstrations bruyantes ils ne recueillirent que quelques aumônes et des marques d’un stérile bon vouloir. On doit croire que c’est l’insuccès de cette première partie de leur programme qui les détourna de leur projet de franchir le détroit et de venir implorer la générosité de la France.

La cause du mauvais accueil fait par le ministère anglais aux envoyés tcherkesses vient sans doute de ce qu’il considérait l’occupation de la côte orientale de la Mer-Noire par la Russie comme un fait accompli et irrémédiable, et la question circassienne comme un prétexte possible aux attaques de l’opposition et aux agitations de l’opinion publique. D’ailleurs il ne fit que suivre dans cette occasion les précédens de la politique de lord Palmerston, lorsque celui-ci, chargé de la direction du foreign-office, dans le cabinet présidé par le comte Grey, eut à s’occuper en 1837 de la capture du Vixen par la flotte russe de la Mer-Noire, et plia devant l’attitude vivement accentuée du cabinet de Saint-Pétersbourg. Cette concession faite au maintien de l’alliance russe est une tradition tory qui n’a jamais été répudiée par les whigs qui se sont succédé au pouvoir depuis Canning, et dont le comte Russell a hérité à son tour. Peut-être dans son refus y avait-il une réminiscence involontaire de l’impression qu’avait produite l’inaction des tribus du Caucase pendant la guerre de Grimée. Ce qui pourrait donner crédita cette supposition, c’est que Hayden Haçan et Roustam Ogli, se trouvant en face du public anglais, crurent avoir besoin préalablement d’écarter un reproche prévu et, disons-le, mérité. Ils firent paraître un mémoire justificatif[1], où, après quelques explications assez obscures et assez peu vraisemblables, ils confessent naïvement que les Tcherkesses ne se crurent pas obligés de seconder une guerre qui se faisait en dehors de leurs limites, qui par conséquent ne les regardait pas, et que si les alliés fussent venus avec l’intention hautement avouée d’affranchir l’Arménie, la Géorgie et le Caucase entier, alors seulement ils auraient consenti à se joindre à eux. On peut se rappeler que Schamyl ne se montra pas plus empressé contre l’ennemi commun, et que plus tard, prisonnier à Kalouga, il essaya de se disculper par des raisons que nous avons rapportées ailleurs, en rejetant les motifs de son inaction sur le compte des généraux turks qui avaient négligé de l’appeler en temps utile, et qui de plus froissèrent son amour-propre

  1. Voyez la Revue du 15 mai 1861, p. 203, note 1.