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spéciale sur notre territoire, sa présence seule est un délit ; il est punissable de la prison, et nos tribunaux correctionnels ne peuvent éviter de lui appliquer cette peine aussitôt qu’ils ont constaté son identité et pris connaissance de l’arrêté d’expulsion qui le concerne. Voilà parmi nous l’état de la loi, et l’on voit suffisamment qu’elle n’accorde à l’étranger d’autre garantie pour sa sécurité et sa liberté que la modération de l’autorité administrative. On voit aussi, conformément à la proportion constante dont nous parlions tout à l’heure, que la liberté et la sécurité de l’étranger chez nous sont, dans une certaine mesure, inférieures à la liberté et à la sécurité du citoyen. Si en effet la loi de sûreté générale conférait naguère encore à l’autorité exécutive le pouvoir de bannir administrativement des citoyens, il fallait du moins que ces citoyens eussent déjà été punis pour certains délits ou atteints à une époque antérieure par des mesures exceptionnelles ; mais le pouvoir discrétionnaire de l’administration française à l’égard de l’étranger n’est point soumis à des restrictions de ce genre. Peu importe l’innocence réelle ou présumée du résident étranger, il peut en tout temps, d’un seul mot, être légalement banni du territoire, et il est puni de la prison, s’il vient à y reparaître. Il en est tout autrement en Angleterre : l’étranger ne peut naturellement prendre part à la chose publique (bien qu’il puisse cependant publier des journaux, s’il le croit utile) ; mais il jouit en tout le reste de la même sécurité et de la même liberté que le citoyen anglais. Il ne peut donc être arrêté, détenu, jugé qu’avec les mêmes formalités et sur les mêmes indices que s’il était sujet de la Grande-Bretagne. C’est assez dire que, s’il est poursuivi, il doit comparaître publiquement devant le juge, qu’il peut aussitôt se faire assister d’un avocat, produire ses témoins, interroger ceux qu’on invoque pour le perdre et réclamer enfin sa mise en liberté, si un prima facie case n’est pas établi contre lui, c’est-à-dire si le juge ne considère pas que les indices recueillis sont suffisans pour l’envoyer devant le jury d’une cour d’assises. De plus, si l’accusé étranger doit franchir cette dernière épreuve, il peut demander et doit obtenir que le jury destiné à le juger soit composé par moitié d’étrangers, afin que ce jury soit capable d’apprécier avec meilleure connaissance de cause les actes d’un homme peu familier avec les lois et les mœurs du pays. Telle est la situation légale de l’étranger en Angleterre ; il est inutile d’insister sur le contraste qu’elle offre avec la situation de l’étranger sur notre territoire.

Il est donc inévitable qu’un traité anglo-français d’extradition se ressente de cette différence ; il est inévitable surtout que le droit de l’étranger étant beaucoup plus étendu en Angleterre, la difficulté de