Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour ce fameux Bourbon-whiskey dont un brave Yankee demandait à un prince français de lui envoyer quelques bouteilles, pensant sans doute que les Bourbons étaient une famille enrichie par la fabrication de ce breuvage. J’ai bien vu l’autre jour en chemin de fer, première classe, un gentleman irlandais tirer de sa poche une bouteille d’eau-de-vie et en servir de grandes rasades à sa voisine, après quoi l’un et l’autre se sont mis à chiquer amicalement ; mais, Dieu merci, ce ne sont pas là les manières des salons. Les traces de rusticité que j’y relève encore s’y voilent et s’y déguisent sous les modes européennes, dont une foule d’Américains francisés, anglicisés ou cosmopolites donnent le ton à ceux qui ont grandi et vécu à l’ombre du City-Exchange ou de leur bureau enfumé de Wall, Beaver ou Pearl-street.

Ce n’en est pas moins une société d’attrait médiocre pour un homme d’habitudes-paisibles, ami des petits comités et des causeries du coin du feu. C’est un tourbillon plutôt qu’un monde, et le ralentissement que la guerre civile, les deuils privés des familles, la diminution aussi des fortunes, ont mis à ses amusemens ne les a rendus ni moins futiles ni plus intellectuels. La foule y est légère, bruyante, pleine de snobbisme et de vanité, prête à saluer humblement les gens qui se font valoir, mais très dédaigneuse de ceux qui n’affichent pas de prétentions ridicules. Le mot d’ordre est que New-York est le lieu le plus agréable du monde, et il faut se confondre en admirations pour ne pas être vu de mauvais œil. Voyons pourtant quels sont les élémens de ce monde si content de lui.

Les hommes, pour la plupart, vivent dans les affaires depuis leur enfance ; à peine âgés de quatorze ans, la finance les a dévorés, et l’on cite avec admiration, comme une rareté, ceux qui ont reçu ce qu’on appelle une collegiale education. Les femmes, livrées à elles-mêmes dès leur enfance, commencent de bonne heure cette recherche d’un mari qui les absorbe tout entières, et qui, surtout dans un pareil monde, exige plus de futilité, de falbalas et de charlatanisme extérieur que de culture et de valeur sérieuse. Ce ne sont point des sensitives, de poétiques rêveuses, de sentimentales moralistes, ni d’insouciantes chercheuses d’aventures ; ce sont des gens d’affaires calculateurs qui empruntent à la société où elles vivent un esprit positif et mercantile. Ces petites folles raisonnables, dont l’appareil extravagant rappelle celui de nos lionnes, jettent l’hameçon non pas pour le plaisir même de la pêche, mais pour le bénéfice. Êtes-vous à marier, un essaim tourbillonnera de lui-même autour de vous. Semblez-vous au contraire de prise improbable et difficile, vous marchez dans un désert. Toutes ces demoiselles (et vous ne rencontrez nulle part que des demoiselles : le reste du monde