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sinistres pronostics, et, ce qui était plus grave, les ménagères, attachées aux anciens magasins où elles avaient leurs habitudes et où elles trouvaient du crédit, ne voulaient pas les quitter pour les magasins coopératifs, dont la première règle était de vendre toujours au comptant. »

Les équitables pionniers n’opposèrent à ces difficultés et à ces railleries que leur probité et leur activité. On disait en 1844 qu’une charrette à bras aurait suffi pour emporter toutes leurs marchandises, et cela était à peu près vrai. Ils ne vendaient alors que des épiceries, de la farine, du beurre, du gruau d’avoine. La boutique (il n’y en avait qu’une, dans une ruelle) était ouverte seulement les samedis soir et tenue sans rétribution par des associés de bonne volonté. Plusieurs des fondateurs, raillés par leurs voisins, sollicités par leurs ménagères, embarrassés peut-être par l’obligation de payer une cotisation toutes les semaines, se décourageaient et s’en allaient. Il ne resta que des hommes fortement trempés, que ne put ébranler même l’abandon de leurs amis, et qui ne tardèrent pas à se voir récompensés par le succès. Le fonds social s’était déjà élevé de 28 livres à 400, quand la caisse d’épargne de Rochdale, quoique fondée et soutenue par des capitalistes, vint à manquer. Ce fut là pour les tièdes une occasion de se retourner vers la caisse populaire, où ils trouvaient sécurité et solidité, sans compter le bonheur de se sentir entre ouvriers, de faire eux-mêmes leurs affaires et de n’avoir d’obligation à personne. Dans l’espace d’un an, le capital du magasin tripla. Les affaires furent augmentées en proportion. On ouvrit de nouvelles salles de vente, on eut des employés salariés, ce qui permit de vendre tous les jours et à toute heure de la journée. Au commerce d’épicerie et à celui de farine, toujours très important en Angleterre, où le pain se fait presque partout dans les ménages, on adjoignit successivement une boucherie et une fabrique de vêtemens et de chaussures. En 1845, lors du premier inventaire, le nombre des membres était de 74, le capital de 181 livres, et le bénéfice se montait à 32 livres sur 710 liv. d’affaires. Cinq ans après, en 1860, on faisait 152,063 livres d’affaires (près de 4 millions de francs), et on réalisait un bénéfice de 15,906 liv. Le 20 décembre 1864, la société comptait 4,747 membres, elle avait un capital de 55,221 liv. 9 sh. 3 pence ; elle avait dans le courant de l’année acheté pour 151,221 livres 10 shillings 2 1/2 pénce, et vendu pour 174,937 liv. 1 sh. 10 pence, et ses bénéfices de toute nature s’élevaient à 22,717 liv. 12 sh. 6 pence, c’est-à-dire à 567,940 fr. 60 centimes. Dans un rapport daté du 21 mars 1865, le comité de direction avertit les associés qu’après avoir prélevé sur les bénéfices du trimestre une somme de 221 liv.