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espaces fermés, y poursuivaient leur proie, et s’en rapportaient tranquillement à un changement de vent pour en sortir. De vagues traditions veulent que quelques-uns aient pu atteindre ainsi les plus hautes latitudes : l’un d’entre eux même, dit-on, regagna sa patrie en passant près du pôle. Franchissant le détroit de Behring et doublant le cap Horn, afin de rentrer dans l’Atlantique, il fit le tour du monde pour revenir du Spitzberg à Amsterdam. Oublions « es légendes maritimes pour revenir à l’histoire.

Au commencement du XIXe siècle, nous trouvons une série de voyages exécutés par un seul navigateur qui, pour le nombre, la variété et l’exactitude des travaux accomplis, ne peut être comparé à aucun de ses prédécesseurs : c’est William Scoresby. Fils d’un capitaine baleinier, il fit dix-sept voyages au Spitzberg. Trop jeune pour se livrer à des recherches suivies pendant les premiers, ce sont les résultats des douze derniers, compris entre les années 1807 à 1818, qui forment la matière de l’excellent ouvrage qu’il a publié sur les mers arctiques[1]. Scoresby, livré à la pêche de la baleine, ne dépassait guère le 79e degré de latitude ; toutefois en 1806 il remonta très haut dans le nord à la recherche de ces cétacés, et le 24 mai il se trouvait par 81° 30’ de latitude et 16° de longitude est de Paris, c’est-à-dire précisément au nord du Spitzberg. La glace s’étendait vers l’est-nord-est ; entre cette direction et le sud-est, la mer était complètement libre sur une étendue de 30 milles (55 kilomètres), et il n’y avait pas de terre à la distance de 100 milles. « Si notre voyage eût été un voyage de découvertes, dit à ce propos Scoresby, nous eussions certainement ajouté quelque chose aux connaissances géographiques acquises sur les régions arctiques ; mais la pêche était notre unique but, et l’équipage au milieu de ces mers désertés et inconnues se montrait péniblement impressionné et donnait des signes de découragement. » Bien que Scoresby ne se soit point proposé d’atteindre le pôle nord, personne n’a mieux observé, personne n’a mieux décrit les phénomènes des mers polaires. Pour se faire une juste idée de son exactitude et de sa sagacité, il faut avoir vu ce qu’il a vu et contrôlé ce qu’il a écrit. Comme de Saussure, avec qui l’intrépide et savant capitaine a les plus grands rapports par l’ingénuité de ses observations parfaitement libres d’idées préconçues, Scoresby sera toujours considéré comme l’initiateur de toute recherche scientifique dans la Mer-Glaciale et le guide le plus sûr du navigateur dans les parages du Spitzberg et du Groenland.

On voit que, si l’on n’avait pas tenté directement d’atteindre le

  1. An account of the arctic regions with an history and description of the northern, whalefishery, 2 vol., 1820.