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Voilà donc les deux concessions qu’il nous paraît raisonnable d’accorder aux plaintes de l’agriculture, l’élévation modérée du droit fixe et la perception sérieuse de ce droit. Outre les considérations d’équité qui les recommandent, elles auraient pour effet d’amortir le mal d’imagination, qui est en ce moment le plus grave, sans toucher au principe fécond de la liberté du commerce. C’est le midi qui se plaint le plus et qui a le plus le droit de se plaindre, car il supporte tout le choc des blés étrangers, tandis que le nord a seul ou presque seul les bénéfices de l’exportation. La réalité du droit fixe élèvera les cours à Marseille, et à mesure qu’on s’éloignera de la côte, l’action du droit ira en diminuant, si bien que la généralité des consommateurs ne s’en apercevra pas ; le prix du pain en sera peut-être augmenté à Marseille d’un centime et demi par kilo, et à Paris l’effet sera nul.

Mais, il ne faut pas se le dissimuler, ni un droit fiscal de 5 pour 100, ni un droit protecteur plus élevé, ni l’échelle mobile, ni la prohibition absolue, rien ne peut empêcher le blé de baisser quand il est abondant. La liberté du commerce a plus d’efficacité que tout autre système pour rapprocher les prix, et son action même est limitée, comme nous venons de le voir. Il faut en prendre son parti, et tout en s’adressant au gouvernement pour réclamer ce qui est juste et raisonnable, les producteurs doivent surtout se défendre eux-mêmes.

Dans toute espèce d’industrie, lorsqu’on voit qu’un produit baisse au point de n’être plus rémunérateur, on réduit la fabrication jusqu’au moment où le prix, en remontant, permet de la reprendre avec avantage. L’industrie agricole n’est pas plus qu’une autre à l’abri de cette nécessité. Que les cultivateurs qui se plaignent de produire à perte réduisent leur production comme ferait à leur place tout autre industriel, et ils n’auront besoin de personne pour faire remonter les prix. Ce conseil fort simple, qui contient la solution pratique de la difficulté, est pourtant accueilli de très mauvaise humeur par la plupart d’entre eux ; il vaudrait mieux sans doute qu’on pût leur en donner un autre, mais, s’il n’existe aucun moyen de faire monter le prix du blé quand il y en a trop, on ne peut que se résigner à prendre celui-là à défaut d’autres.

Quelques représentans de l’agriculture affectent de croire qu’en leur conseillant de réduire leurs emblavures, on leur demande de renoncer à tout jamais à la culture du blé. C’est là une exagération manifeste. La production du blé a doublé en France depuis cinquante ans, elle a passé d’une moyenne de 50 millions d’hectolitres à une moyenne de 100 millions ; mais cette progression n’a pas été régulière, elle s’est ralentie et même arrêtée à la suite des