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et la déroute de l’ennemi complète. Des bandes de chevaux sellés et bridés, galopant en liberté, dépassèrent le village sans leurs cavaliers ; mais à moitié course le capitaine Du Vallon avait jugé la gravité de la situation de l’infanterie française. Résolu à profiter de l’élan de ses hommes, doublé par un premier succès, sans hésiter il se lança à fond de train sur l’église, du côté où ne se découvrait aucun obstacle, et escalada la dernière pente qui l’en séparait. Le choc devait être décisif ; mais l’escadron vint se briser contre une muraille infranchissable : là, d’habiles tireurs se levèrent d’un fossé intérieur et ripostèrent par plusieurs décharges à bout portant ; hommes et chevaux roulèrent au pied de la pente. Il fallut se retirer. Le capitaine Du Vallon avait le haut de la poitrine traversé de deux balles de rifle ; malgré la perte de son sang, après avoir chancelé sous le coup, il resta en selle et ramena l’escadron mutilé, mais en bon ordre ; arrivé près du colonel, à bout de force, mais non d’énergie, il se fit descendre de cheval et placer près des deux obusiers de montagne dont il surveillait le tir ; son regard était calme, mais triste. C’est qu’en effet la journée s’annonçait mal : il était midi, le soleil frappait d’aplomb ; ni hommes ni bêtes n’avaient pris aucun aliment depuis la veille malgré la marche de la nuit. Les pertes étaient déjà sensibles, et le tir des pièces, trop éloignées de la place, produisait peu d’effet.

Par bonheur, les canons de Carbajal étaient restés muets : sans doute, pour rendre sa marche sur Ozuluama plus rapide, il les avait laissés en arrière. L’affaire urgente était de rapprocher les obusiers du village, de les porter sur une éminence qui dominât l’église : à cette heure, l’unique salut était là ; mais les hisser sous le feu et à dos d’homme était difficile. Pourtant il fallait agir sans retard. L’ennemi, bien barricadé, subissait peu de pertes ; il attendait que la contre-guérilla fût fortement entamée pour faire à son tour une sortie. Déjà des hauteurs voisines on voyait descendre les contingens des environs, accourus au bruit du canon pour assister et prendre part au massacre des Français, dont les munitions commençaient à s’épuiser. Trois fois il avait fallu lâcher pied. Enfin les artilleurs se dévouèrent. Dans le trajet, l’un d’eux, en portant un affût, eut une jambe traversée. On ordonna de l’évacuer. « J’ai encore une jambe au service de la France, » répondit-il, et il continua son ascension. Quelques pas plus loin, il tomba, l’autre jambe brisée. Après deux heures de travail, les obusiers couronnèrent les hauteurs du cimetière. La journée était gagnée. Les pièces étaient à bonne portée ; à chaque coup d’obus, les pieux de la palissade volaient en éclats, éclaboussant les défenseurs pris d’écharpe. Les projectiles enfilaient les portes de l’église, où étaient entassés plus de six cents soldats, déjà moins confians dans l’épaisseur des