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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/837

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fait rien que des vœux et quelques trahisons gratuites, qui ne servent qu’à prolonger l’épreuve sans la rendre moins désespérée. Pour tout le temps que durera la guerre, le Maryland sera dans un état de sourde agitation civile, étouffée seulement par la force. M. Eaton avoue que sans le pouvoir militaire on aurait eu la guerre dans les rues au moment de l’élection ; il doute même de la parfaite sincérité du vote, il n’ose affirmer que Lincoln eût été élu sans la présence et sans le vote de l’armée. Quant à la nouvelle constitution, qui abolit l’esclavage dans l’état, il ne doute pas qu’elle n’eût été repoussée sans la pression et l’effort persévérant des troupes fédérales. Telle est la force du fait accompli que la majorité abolitioniste, auparavant de quelques centaines de voix à peine, en compterait aujourd’hui plusieurs milliers ; mais l’irritation n’en est que plus grande chez ceux que cette mesure dépouille, et qui n’ont pas su consentir d’avance à la nécessité. Aujourd’hui l’Union et l’abolition se donnent la main, et il ne peut plus y avoir d’équivoque entre les partis : il faut ou bien préférer l’Union à l’esclavage et rentrer dans les états rebelles par la brèche de l’émancipation, ou bien se dire l’ennemi de l’unité nationale et avouer le sud comme sa patrie. C’est ce que fait le monde de Baltimore en y mettant la colère implacable des causes perdues. Les femmes sont les plus furieuses et les plus intrépides : elles bravent le général Wallace, commandant militaire du Maryland, avec un héroïsme digne d’une meilleure cause.

Je me suis toujours demandé comment il se faisait que les femmes du sud fussent si passionnées pour une institution domestique qui fait de la famille ce que vous savez et remplit la maison sous leurs yeux d’un troupeau de petit bétail illégitime dont elles connaissent très bien l’origine. Sans doute elles lisent la Bible et trouvent tout naturel qu’Agar partage avec Sarah le patriarche, pourvu qu’Ismaël soit plus tard vendu ou chassé comme un chien. Une dame de Baltimore, une mère de famille grave et respectable, femme d’un Yankee de la Nouvelle-Angleterre, me disait un jour sous forme plaisante, mais au fond très sérieusement, qu’elle ne l’aurait jamais épousé, si elle avait prévu cette guerre civile et connu d’avance les abominables opinions de son mari. — « Comment donc se fait-il, lui demandai-je, que vous aimiez tant les maîtres d’esclaves et que vous soyez si zélées pour l’esclavage, vous autres femmes qui en sentez plus que personne les petits inconvéniens ? — Oh ! reprit-elle en riant, les hommes qu’on aime le mieux ne sont pas les meilleurs. » — Le fait est qu’aux yeux de ces dames on n’est point gentleman si l’on n’est vendeur d’hommes. « Qui avez-vous vu à Washington ? me demandait avant-hier une dame rebelle, tenant par