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22 millions d’hommes, en appliquant le recrutement à des provinces peu accoutumées à la sévérité des mœurs militaires ; former en un mot le cadre d’une nation : c’est là réellement ce qui a été fait, d’une façon quelquefois saccadée et confuse, mais en même temps avec cette fixité de passion qui faisait dire à un député, M. Ferrari : « Du jour où a été prononcé le mot d’unité, l’Italie n’a plus rien écouté. Les autonomies, les lieutenances, les franchises locales, tout a dû se plier au mouvement… On n’a plus admis aucune tradition administrative en dehors du système proclamé… En cela, les Italiens ont été unanimes. Les Napolitains ont été les premiers à invoquer les lois les plus sévères pour la répression du brigandage ; les Siciliens ont été les premiers à provoquer des levées et des armemens qui s’accordaient mal avec les antécédens de leur terre ; tous les habitans des autres provinces ont rivalisé dans l’exagération de l’assimilation piémontaise pour arriver à l’unité… » Et cela est si vrai que lorsqu’il y a quelques années M. Minghetti proposait comme ministre de l’intérieur un plan d’organisation provinciale fondé sur ce qu’on appelait le système des régions et tendant à maintenir une certaine décentralisation, ce projet tombait devant une répulsion subite et universelle, parce qu’il ne répondait pas à la passion de l’Italie.

Assurer l’unité, c’était la pensée fixe et dominante. En réalité, cet enfantement laborieux et à coup sûr relativement rapide compte déjà plusieurs périodes, — la première, militante, agitée, incertaine, allant du lendemain de la paix de Villafranca aux votes populaires du 14 mars 1860 pour l’Emilie, du 16 mars pour la Toscane, du 21 octobre pour Naples et la Sicile, du 14 novembre pour l’Ombrie et les Marches, — la seconde allant des plébiscites de 1860 à la convention du 15 septembre 1864, — la dernière commençant avec le changement de capitale. Ce n’est qu’au mois d’avril 1865 en effet que l’unification se consomme par l’abolition de ce qui restait d’autonomie sur quelques points, par l’application définitive d’un même régime civil, pénal, administratif, à l’Italie entière. La génération de l’unité est là en quelques dates. Cette période d’organisation intérieure, qui part de 1860 et va se perdre aujourd’hui dans la crise suprême de l’indépendance, ce n’est pas sans doute le côté saisissant et merveilleux de la révolution italienne. Ce n’est plus l’annexion spontanée, l’invasion légendaire de la Sicile, la conquête d’un royaume au pas de charge des volontaires en chemise rouge, l’entrée à Naples de Garibaldi suivi de ses trois compagnons ; ce n’est plus tout cela et ce n’est pas encore l’émouvante, la mystérieuse grandeur de la lutte nouvelle qui s’ouvre ; c’est la période la plus ingrate, si l’on veut, la plus obscure et en même temps la plus sérieuse, la plus