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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

— Je m’en souviens, fit la douairière ; j’ai même remarqué que Mlle Violante, c’est son nom, n’est-ce pas ? ne venait plus le dimanche à la messe.

— Oh ! dit vivement Lescalopier, elle lit l’office au manoir. La marquise ne put s’empêcher de sourire. — Pour moi, reprit-elle, je l’ai vue ; il m’a été donné de l’entretenir deux ou trois fois, cette fière personne.

— C’est ce qu’elle n’a pas oublié…

— Je n’en suis pas sûre. Elle est belle, elle a un grand air d’orgueil et un je ne sais quoi avec cela qui met tous mes jugemens en déroute, qui m’est étranger, que je n’ai observé qu’en elle : c’est une beauté et un orgueil que je ne connais pas.

— Tout cela est un peu vrai, répliqua M. de Bochardière en soupirant.

Pour le coup, Mme de Croix-de-Vie éclata de rire. — Tenez, Lescalopier, dit-elle, pardonnez-moi encore ce petit moment de gaîté. Je n’ai pas de rancune au moins, confessez-le ; je prends doucement les choses. Votre mine piteuse et ce grand soupir viennent de me faire songer à tant de mauvaises excuses que vous m’avez données depuis deux ans toutes les fois que je vous engageais à me présenter votre fille : c ; Mlle Violante était souffrante ; Mlle Violante, ne pouvant se consoler de la mort de son aïeule, n’avait point le courage de rendre des visites. » Je crois, Dieu me pardonne, que Mlle Violante une fois avait pris une entorse. Vous m’avez dit cela un jour ; le lendemain, Chesnel a rencontré votre fille dans le bois. Elle n’a jamais voulu me connaître, voilà toute la vérité.

— Elle n’a pas voulu !…

— Je n’ai pas fini. Je crains bien que ce qu’il me reste à vous dire ne vous fasse l’effet d’une pierre de scandale, mon ami. Je crois que votre fille est une libérale, monsieur de Bochardière.

— Madame la marquise, fit l’avocat, mes sentimens bien connus…

— Me répondent des siens. Voilà qui s’appelle parler. À la bonne heure ! Oh ! après cela, je suis rassurée. Mon pauvre Lescalopier, vous perdez tout à fait le sens… Mais, dites-moi, votre fille a donc rencontré le marquis à l’église ? Ne vous a-t-elle rien dit de lui ?

— Elle m’a dit… Mais pardonnez-moi, madame la marquise, ma fille est un peu étrange, j’en conviens. M. le marquis était fort religieux encore en ce temps-là. Elle m’a dit qu’il avait un grand air de recueillement, qu’il était beau quand il priait.

— Ce n’est pas mon avis, fit la douairière ; je le trouvais alors cruel avoir… Mais ce n’est pas non plus ce que dit d’un homme encore si jeune une fille qui songe à l’amour, reprit-elle. Votre passion d’être des nôtres vous égare. Amenez-moi pourtant votre fille,… si elle le veut.