Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

formelles de la conférence de Constantinople : l’effectif indigène, qui d’éliminations en éliminations était un moment descendu au chiffre de cent cinquante hommes, fut porté à quatre cents, — à peu près le quart du contingent que le règlement fixait.

Au bout de quelques semaines, la situation était aussi tendue qu’une année auparavant et même beaucoup plus tendue, car l’opposition maronite n’avait plus de doutes, et la politique d’occupation plus de scrupules. Caram était rentré plus avant sous sa tente, et le nord du Kesraouan refusait plus que jamais l’impôt. Davoud-Pacha accusait hautement et non sans raison Caram d’encourager, de provoquer, par son affectation à s’isoler du gouvernement, ce refus d’impôt. Le chef maronite répondait froidement et avec non moins de raison : C’est justement parce que je ne suis rien dans le gouvernement que je n’ai pas d’ordre à donner aux contribuables. — Caram s’obstinait à rester sur la défensive, Davoud-Pacha jura intérieurement de l’en faire sortir et, qui plus est, de l’amener comme agresseur sur le terrain le plus défavorable pour lui.


IV

Le siège du gouvernement avait été transféré à Sarba, sur la baie de Djounié, à peu de distance de Gazir. Tout ce territoire peut être considéré comme le point de partage et la frontière commune des deux partis aristocratique et anti-aristocratique entre lesquels le pays maronite s’est de nos jours divisé. Dans la même bourgade, à commencer par Gazir, une moitié de la population est démocrate ou caramiste ; l’autre tient pour les cheiks et les émirs. Comme cette classification n’est, selon toute probabilité, que la forme moderne des petits antagonismes qui, dans ce pays de féodalité, divisaient, de temps immémorial et de père en fils, chaque localité en deux camps rivaux ou même ennemis, il est naturellement arrivé que chacun des partis actuels se trouve parqué dans un quartier distinct. La solidarité de passions s’y augmente de la solidarité de voisinage, et la moindre querelle individuelle entre les habitans. des deux quartiers prend aussitôt un caractère collectif.

Quelques jours avant cette translation et par un hasard dont on ne saurait contester l’à-propos, un anti-caramiste du village de Sarba avait gratuitement injurié le domestique d’une famille caramiste au moment où celui-ci se rendait, porteur d’un message, chez Youssef Caram, qui eut ainsi la première nouvelle de l’indirecte provocation adressée aux siens. Youssef Caram, — c’est là, soit dit en passant, tout le secret de la popularité presque fanatique, pour beaucoup de gens inexplicable, dont il jouit dans son milieu, — pousse plus loin que pas un ce sentiment de solidarité qui