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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

— J’ai eu souvent cette pensée, dit le marquis.

— Est-ce bien vrai ?… Oh ! Martel, quelle main est mieux faite que la mienne pour bercer vos maux et pour vous guérir ? Qui saura mieux vous inspirer le goût de vivre que moi, dont la vie n’est rien que par la vôtre ? Le jour, voyez-vous, n’existe que par le soleil. Fiez-vous-en donc une fois à ma tendresse, qu’aucune autre ne peut égaler. Je vous conduirai par des chemins si doux que vos pieds ne sentiront pas le sol qu’ils fouleront. Ce ne sera que la grande route de la réalité, mon cher enfant, le chemin de tout le monde. Les fantômes n’auraient garde de s’y hasarder. Ah ! l’on n’y a jamais vu passer le destin, on n’y rencontre que les malheurs communs et les bonheurs ordinaires : aussi jamais l’esprit ne s’y égare… Ce chemin, Martel, il faut le suivre avec moi, sous ma garde, sans quitter ma main. Le voulez-vous ?…

— Je ne sais, dit-il…

— Mon fils, promettez-le-moi.

— Eh bien donc ! dit-il, je vous le promets, ma mère.

— Ainsi, s’écria-t-elle, je vous aurai là, souvent à mes côtés, comme autrefois, lorsque vous étiez enfant. La tranquille existence des anciens jours, nous allons la recommencer ensemble… L’abbé d’abord n’en saura que penser. Ses yeux sont lents à voir, et il est lent à en croire ses yeux. Notre voisin de Bochardière… Mais vous ne l’aimez point. Martel… comment faire ?

— Mais, dit le marquis, il faut le lui laisser ignorer, ce me semble.

— Quoi ! fit-elle, vous allez devenir indulgent, même pour mes amis ? Quel miracle !

Elle hésitait pourtant. Sa conscience légère, mais très droite, lui reprochait bien un peu la petite comédie qu’elle allait jouer dans un pareil instant ; mais avec son esprit mobile elle n’avait déjà plus de pensée que pour un heureux dénoûment. Et d’ailleurs elle se disait que le salut de son fils dépendait du succès de ses ruses ; dès lors elle les trouvait bien innocentes. — J’y songe, dit-elle, Lescalopier doit venir demain au château.

— N’y vient-il pas tous les jours ? dit Martel.

— Eh ! oui, reprit la douairière, mais il ne sera pas seul demain. Sachez qu’il nous présente sa fille.

— Sa fille !

— Certes. Mlle Violante de Bochardière. Violante ! quel nom ! Il paraît qu’il est fort à la mode dans les montagnes où elle est née. Donc Mlle Violante avait fait vis-à-vis de moi, durant quatre ans, la dédaigneuse et la sauvage. C’en est fait de cette fantaisie ; elle demande maintenant à me voir. N’avez-vous jamais aperçu Mlle de Bochardière à la chapelle du château. Martel ?