Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/644

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par les trois synoptiques, n’offre-t-il pas à notre intérêt comme à notre certitude historique ! Pharisiens rigoristes qui vous laviez les mains avec tant d’onction, scribes pédans, prêtres doucereux et hautains, sadducéens sceptiques et moqueurs, démoniaques furieux ne pouvant résister à l’ascendant du saint de Dieu, péagers convertis, pauvres pécheresses trop heureuses d’arroser de vos larmes les pieds de votre saint ami, jeunes gens à l’esprit prompt, trop confians en vous-mêmes, mais que Jésus aime parce que vous croyez au bien, inconnue de Béthanie au vase d’albâtre plein d’une huile odoriférante, à l’âme pleine d’un parfum plus précieux encore, apôtres durs d’intelligence, mais brûlant au dedans de vous-mêmes d’un feu divin que rien ne peut éteindre, et toi, Madeleine, à peine délivrée des sept démons qui te possédaient, toi la dernière près de la croix, la première au tombeau de ton libérateur, — vous tous, êtres charmans ou sombres, vous toutes, figures touchantes ou terribles, venez donc dire à nos rêveurs modernes que vous avez vécu, que vous aviez de la chair sur vos os et du sang dans vos veines, qu’il n’est pas de puissance plastique au monde capable de forger arbitrairement des créatures aussi palpablement réelles que vous ! Est-ce donc que la terre n’était habitée autrefois que par des ombres qu’on a voulu vous réduire à l’état d’êtres fantastiques, éclos on ne sait comment dans les visions de la première église ? Et comment donc fût-elle née, cette église elle-même, si vous ne l’aviez pas fondée, vous par vos haines, vous par vos amours !

Les peintres se plaignent souvent de nos jours de la peine qu’ils ont à traiter les sujets de l’histoire évangélique sans copier servilement les anciens ou sans heurter des convenances qu’il faut respecter, tant l’on craint, en s’en écartant, d’interpréter arbitrairement les textes consacrés. Cet embarras est réel, et surtout en pensant à la peinture d’église je ne sais trop comment l’on pourrait y remédier pour le moment ; mais lorsque le point de vue vraiment historique sous lequel la critique moderne nous permet de contempler les Évangiles sera devenu plus populaire, combien de faces inconnues à nos devanciers les sujets évangéliques révéleront aux regards des artistes ! On a peint assez longtemps le Christ-prêtre, le Christ au geste sacerdotal, le Fils condescendant à quitter le trône de la Trinité pour vivre quelques années parmi nous. Au fond, c’est le Christ johannique que la peinture a exclusivement adopté depuis qu’elle est sortie des limbes du moyen âge. Il faudra bien qu’un jour elle en vienne au Christ des synoptiques, au Fils de l’homme, doux et vaillant, os de nos os, chair de notre chair, sublime dans ses nobles colères aussi bien que dans ses attendrissemens subits, priant réellement et versant de vraies larmes, ne se