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autres transportés en 1800 par un vaisseau de galériens à bord duquel éclata la fièvre maligne, trois moururent ou abandonnèrent leurs compagnons. Presque tout le monde se demandait si cette œuvre valait bien le sang, l’argent et les sacrifices qu’elle avait déjà coûtés à l’Angleterre. D’un autre côté, l’état de la mission était déplorable. Les sauvages, d’abord favorables aux étrangers, avaient fini par se tourner contre eux. La défection se mit dans les rangs ; l’un des missionnaires épousa une femme idolâtre et un autre renonça tout à fait à sa religion. Qu’on ajoute à cela les premières difficultés inhérentes à toute entreprise de ce genre. Dans les commencemens, les missionnaires ont tout à apprendre, l’histoire, les mœurs, la géographie du pays. Comme il n’existe ni grammaire ni dictionnaire, et que le langage n’est point même écrit, il faut saisir par l’oreille et reproduire tant bien que mal les sons étranges et grossiers qui sortent de la bouche des indigènes. Comment donc le champ des premiers travaux ne serait-il point infertile ? Les missionnaires furent contraints de quitter Otahiti en 1810 et de se retirer dans la Nouvelle-Galles du sud. Tout semblait perdu quand, vers 1812, la conversion du roi Pomaré changea subitement la face des choses. Ce ne fut pourtant qu’à partir de 1818, époque où le célèbre missionnaire John Williams entra en lice, que l’influence anglaise pénétra vraiment dans cet océan tacheté d’îles.

John Williams vécut dix-huit ans parmi les sauvages et voyagea sur un espace de cent mille milles. Confiné d’abord dans l’île de Raiatea, il voulut étendre l’Évangile au groupe des Herveys et à l’archipel des îles des Navigateurs ; mais, comme on ne passe point les mers à pied sec et qu’il n’existait alors aucun moyen de transport à son service, il résolut de construire lui-même un vaisseau. Le missionnaire se mit bravement à l’œuvre. Avant de faire le navire, il lui fallut faire de ses propres mains les outils. Il n’y avait de son temps que quatre chèvres dans l’île et parmi elles une qui donnait du lait ; John en tua trois, et avec leurs peaux il essaya de façonner un soufflet de forge. Encore avait-il compté sans les rats qui pullulaient alors dans ces contrées sauvages : ils dévorèrent son œuvre. A force de persévérance et avec l’aide des indigènes, auxquels il apprit les élémens de l’architecture navale, il finit néanmoins par mettre à flots une arche de Noé qui n’avait point trop mauvaise mine et à laquelle il donna le nom de Messager de Paix. Un tel navire n’aurait sans doute pas tenu contre une mer bien orageuse, car le matériel de construction laissait beaucoup à désirer. Le bâtiment se composait de pièces de bois à peine rejointes par quelques morceaux de fer ; la coque était enduite de chaux et de gomme de l’arbre à pain en guise de goudron, tandis que les voiles, faites