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LE DERNIER AMOUR.

Je cherchai à lui faire entendre qu’elle n’avait pas le droit de refuser ce que, de bonne grâce ou non, ma femme donnait à son mari, et par conséquent à ses enfans. D’ailleurs, avant de faire un éclat que Tonino pouvait blâmer et rendre inutile, il fallait le consulter. Elle me promit de prendre patience jusqu’au terme fixé pour mon départ avec elle ; mais elle ne put tenir parole. J’appris le surlendemain qu’elle était partie, avec ses enfans et deux de ses serviteurs, pour la Vénétie, où Tonino était déjà rendu, mais non établi encore.

En apprenant cette nouvelle, Félicie redevint généreuse. Elle s’inquiéta des enfans, de la fatigue du voyage pour cette jeune mère qui nourrissait, du peu d’argent qu’elle pouvait avoir. Elle voulait courir après eux, non pas demander pardon à la Vanina, mais la forcer à l’admirer et à l’aimer encore. Elle faisait des paquets de vêtemens, elle s’agitait. Sa fièvre augmentant, je dus encore la calmer en lui remontrant que la Vanina était forte et résolue, que les enfans étaient robustes, les serviteurs dévoués, et que Tonino leur avait laissé plus d’argent qu’il n’était nécessaire pour un voyage de cent lieues.

Elle s’apaisa, mais bientôt elle me pressa de partir pour tenir ma promesse à Tonino. Elle avait, avec une résolution extrême, réalisé très vite la somme d’argent que je devais porter k son prétendu fils adoptif. Je m’aperçus alors qu’elle se préparait elle-même au voyage, comptant qu’au dernier moment elle me déciderait à l’emmener. Je fis échouer cette combinaison désespérée, dernier effort d’une irrésistible passion. Je lui déclarai que je ne m’intéressais pas assez à Tonino pour aller lui rendre visite. L’empressement de Vanina à partir sans moi, et à mon insu, avait fait échouer la sollicitude que j’avais promise d’avoir pour elle et pour mon filleul. Dégagé de ma promesse en ce qui la concernait, je ne me sentais nullement obligé de porter moi-même à Tonino un don qu’il était beaucoup plus sûr et plus facile de lui faire tenir par un banquier. La chose fut faite comme je la décidais. Tonino reçut le salaire de sa bassesse, et il fut content. Sa femme m’écrivit pour m’annoncer son heureuse arrivée à Venise, son départ pour les terres que Tonino allait affermer, et me dire la reconnaissance qu’elle éprouvait pour moi. Elle n’avait pas réalisé ses projets de fierté, son mari avait dû l’y faire renoncer ; mais elle se vengeait en s’abstenant de nommer Félicie. Je refusai de montrer cette lettre à ma femme ; elle la chereha en vain sur mon bureau, je l’avais brûlée ; Félicie dut se contenter de savoir que l’on était satisfait là-bas. Ce fut un coup de poignard, le dernier. Elle se résigna.

Nous entrâmes alors dans une nouvelle phase d’existence con-