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rival digne de lui ? Nous sommes peu impatiens de le savoir. Qu’est-ce qu’a obtenu à Pétersbourg l’envoyé confidentiel prussien, le général Manteuffel ? A-t-il apaisé la mauvaise humeur qu’inspirent à la cour de Russie les mésaventures de ses parens d’Allemagne ? a-t-il resserré les vieux liens qui ont si longtemps uni la politique prussienne à la politique russe ? Nous n’avons ni le pouvoir ni le goût de percer de tels mystères. La cour de Vienne revient-elle au vieil adage : Tu, felix Austria, nube ? Le prince héréditaire d’Italie épousera-t-il une archiduchesse ? Le Grand-Turc sera-t-il un suzerain généreux envers l’hospodar prussien de Roumanie ? Laissons toute cette petite, archaïque et comique diplomatie de cour recommencer ses toiles d’araignée sur cette Europe où respirent cependant des peuples destinés à posséder avant peu la plénitude de la saine et puissante vie moderne.

Il ne faut point s’amuser et s’égarer dans le fouillis des détails frivoles, s’abandonner au courant des faits minimes et des petites anecdotes pour s’exposer à être derechef réveillé en sursaut par des surprises énormes. Les événemens font halte en ce moment, mais ils ont posé à la France de grandes questions sur elle-même. Il faut avoir le courage de regarder ces questions en face jusqu’à ce qu’elles soient résolues. Ces questions d’ailleurs ne nous laissent point la liberté de les méconnaître et de les éluder. Elles s’imposent à nous avec le caractère de la nécessité pratique et actuelle. Les événemens d’Allemagne, en changeant le rapport des forces continentales, ont créé pour nous l’obligation de prendre sur-le-champ en considération l’organisation de notre armée, la réforme et le développement de nos institutions militaires. La fin de l’entreprise du Mexique doit aussi donner lieu inévitablement à une liquidation de politique et de finance. Nous approchons de la saison de la politique active, nous avançons vers la session. La prochaine session du corps législatif devra produire la réorganisation de l’armée et terminer la liquidation mexicaine. Dans l’intervalle qui nous sépare de la réunion des chambres, on est autorisé sans contredit à rechercher dans quel esprit, avec quelles dispositions morales il convient à la France d’aborder ces deux questions que la force des circonstances lui prescrit de résoudre.

Nous nous appliquons, en ce qui nous concerne, à nous dégager de toute prévention passionnée dans l’appréciation des deux nécessités où nous a conduits le cours de notre politique étrangère en Europe et en Amérique. Les faits et la situation qu’il s’agit de juger sont d’ailleurs arrivés à ce degré d’achèvement qui permet d’en embrasser l’ensemble, d’en déterminer le caractère, d’en calculer avec certitude la portée. Ils ne laissent plus d’ouverture à l’équivoque et à la controverse. Ils ne sont plus tenus en suspens par l’incertitude du dénoûment ; ils se présentent comme les résultats d’une expérience accomplie ; nous en possédons à la fois le premier mot et la conclusion. Ils se trouvent dans les conditions où les faits passés s’offrent à l’impartialité éclairée et froide de l’historien philosophe. Il