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de la force de ses raisons ; mais, changeant la nature de la question et sautant du coq à l’âne, — ce sont les expressions du cardinal, — il se mit à dire que « répondre tout crûment par un refus à la demande du premier consul, c’était même chose que de vouloir tout ruiner. On rendrait par là infructueux les efforts du saint-siège et du gouvernement français qui avaient abouti à la signature du concordat, et la France continuerait alors à vivre dans le schisme auquel la mission du légat avait justement pour but de mettre un terme[1]. » Il était impossible d’imaginer, s’écria le cardinal, qu’une réponse négative dans une affaire inexécutable produisît sur l’esprit du premier consul un tel dégoût que pour cela tout fût perdu. « Ah ! reprit le conseiller Portalis, vous ne le connaissez guère, ou vous feignez en ce moment de ne pas le connaître. Il veut que le clergé soit très nombreux à la cérémonie de demain afin de la rendre plus solennelle, et tout ce qu’on peut lui dire là contre ne sert qu’à l’irriter[2]. » Et tout de suite, avec l’éloquence qui lui était naturelle, M. Portalis somma le légat de bien réfléchir sur sa détermination ; il lui déclara qu’il serait responsable devant le monde et envers la France d’avoir, pour un si petit objet, gâté une affaire de si grande conséquence[3]. Le cardinal Caprara ne céda point malgré les instances du conseiller d’état, qui répétait incessamment qu’il s’était chargé de l’affaire et qu’il fallait qu’elle s’arrangeât, car le premier consul en attendait le résultat avant sept heures. À cette espèce d’injonction assez mal déguisée, le représentant du saint-siège répondit « qu’il abhorrait la guerre, qu’il aimait la paix, qu’il avait expressément été envoyé pour la faire régner en France. Les principes saufs, il ne ferait donc aucune difficulté d’écouter ce qu’on aurait à lui proposer ; mais personne, ajouta-t-il avec une certaine fermeté, ne voudra assurément exiger de lui ce que lui interdisait sa conscience et ce qui serait en opposition directe avec ses devoirs. » Les scrupules du cardinal-légat, déjà presque gagné à la politique française, mais resté fidèle à sa foi religieuse et aux instructions de son souverain, étaient du nombre de ces obstacles moraux dont le premier consul a toute sa vie méconnu la puissance. Cette résistance inattendue faisait manquer l’objet principal du petit drame que le premier consul avait combiné avec ses confidens ; il en restait cependant un autre à atteindre. Ce fut alors qu’un nouvel acteur entra en scène. « J’avais prévu, dit l’abbé Bernier, qui s’était jusque-là tenu à l’écart et en silence, j’avais prévu que vous ne vous prêteriez pas à la

  1. Correspondance du cardinal Caprara, 4 avril 1802.
  2. Ibid.
  3. Ibid.