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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/593

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campagne aux Ages lui avait un moment souri ; maintenant il la trouvait lourde, monotone, insupportable… Son humeur inquiète et vagabonde reprit le dessus, et il passa le reste de la nuit à rouler dans sa tête des projets de voyages lointains. Le lendemain, il annonça brusquement à la mère Jacquet qu’il comptait retourner à Paris dans trois jours. La meunière ouvrit de grands yeux et joignit les mains, puis vinrent d’interminables lamentations. Qu’allait devenir le moulin ? et comment Sylvain allait-il faire maintenant pour décider Simonne à l’épouser ? Il comptait sur l’appui de M. Jousserant pour vaincre les résistances de M. Désenclos ; il avait espéré que tout s’arrangerait le jour de la ballade. — Ah ! si M. Maurice restait seulement au pays jusqu’après la ballade !…

— Quelle ballade ? dit Maurice.

— Ah ! notre maître, pouvez-vous avoir oublié la ballade du lundi de la Pentecôte, la ballade du Puits-Carré ? On y va de Ruffec et de Charroux, et tout Saint-Clémentin y court. Les danses sur la brande, les avez-vous oubliées ? Les plus belles dames du pays y viennent danser.

Maurice devint songeur. La mère Jacquet vit qu’il était ébranlé et continua : — Assurément Mme de Labrousse y sera et aussi la jeune dame des Palatries… Ah ! monsieur Maurice, par amitié pour notre Sylvain, ne partez au moins qu’après la ballade.

— Nous verrons, murmura Maurice en s’éloignant tout pensif.

Le dimanche soir, M. Désenclos dit à sa femme, qui prenait le frais sur la terrasse : — Eh bien ! notre voisin M. Jousserant est déjà las de la campagne. Il paraît qu’il s’ennuie aux Ages, et qu’il a l’intention de retourner à Paris après la ballade du Puits-Carré.

Lucile garda le silence et continua de contempler le jardin ; mais au fond de son cœur, tandis que parlait M. Désenclos, un sentiment impétueux s’agitait. — Oh ! se disait-elle, je ne le laisserai pas partir ainsi, et je saurai auparavant pourquoi il m’en veut.

III.

La brande du Puits-Carré avait revêtu ses plus beaux habits, quand le soleil du lundi de la Pentecôte lui envoya son premier salut. Ses pelouses étendaient au loin leur gazon moite de rosée ; sur cette verdure bleuâtre, des oasis de bruyères et d’ajoncs se détachaient mollement, et d’espace en espace un vieux châtaignier au tronc creux tordait ses branches encore vigoureuses et étendait presque au ras du sol sa magnifique verdure. Au premier rayon, ce fut sur toute la brande silencieuse un splendide scintillement.