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CUBA ET LES ANTILLES

III.
SANTIAGO ET FORT-DE-FRANCE[1].

Il y a des jours où l’inconnu m’attire avec une puissance étrange, où cette promenade bourgeoise dans un pays civilisé ne satisfait plus mon humeur aventureuse : je voudrais prendre mon vol pour la Californie, pour l’Australie ou la Chine ; mais en ce moment je suis pris d’une passion de retour qui va jusqu’à la folie. La pensée du pays natal me rend dur le lit où je dors, amer le pain que je mange, odieux les étrangers avec qui je dois vivre. Il est temps d’en finir avec ma vie errante. Je vais prendre à Santiago le bateau français qui revient du Mexique.

C’est avant-hier que j’ai quitté la Havane, non sans ennui ni sans encombre. La veille, j’avais instamment recommandé aux gens de l’hôtel de m’éveiller avant cinq heures. Des amis m’entraînèrent au théâtre, où l’on jouait une grosse bouffonnerie du Palais-Royal, écho lointain de la patrie, qui ne fait pas grand honneur à l’esprit français. Je rentrai tard, et j’avais à peine fermé les yeux que le clocher voisin sonna cinq heures ; il faisait nuit noire, j’avais brûlé ma chandelle, rien ne bougeait dans la maison endormie. Je me lève à tâtons, je descends à la hâte, j’enjambe hommes, matelas, lits de sangle, toute l’étable humaine vautrée pêle-mêle dans le vestibule ; une volante passe par bonheur, et me voilà sauvé.

  1. Voyez la Revue du 1er septembre et du 1er octobre.