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même étaient inévitables, ou peu s’en faut. En tout cas, elles ont été partagées, et sans doute une plus grande part que la nôtre en revient dans l’origine à la puissance qui avait le plus de liberté d’action et qui a le plus craint d’en user, l’Angleterre ; car, il faut bien que cette grande nation le sache, depuis que sa politique est devenue de l’économie politique, elle s’expose à laisser plus d’un désordre s’accomplir en Europe qu’il eût été de son devoir d’empêcher. Sa responsabilité s’en accroît en raison inverse de son influence. Mais plus grave et bien plus blâmable encore a été la faiblesse de l’Autriche se jetant sur le Danemark pour jouer le jeu de la Prusse, et sacrifiant le bon droit pour qu’un autre ne fût pas seul à le violer. Elle est la plus punie, et c’est justice ; que pouvait-elle craindre à sommer la France, l’Angleterre et la Russie de faire respecter leurs signatures avec la sienne ? Enfin, presque autant que leurs gouvernemens, les nations ont des aveux à faire. C’est à elles de convenir, pour la plupart, qu’elles avaient laissé prévaloir dans leur sein l’opinion qui accepte la paix à tout prix, car c’est vouloir la paix à tout prix que de ne pas consentir à l’exposer un moment pour la sauver dans l’avenir. Si l’on s’était montré le moins du monde en humeur de risquer l’apparence d’une guerre, qu’aurait dit en Angleterre le radicalisme de Cobden et de Bright, qu’auraient dit en France les conservateurs qui craignent la guerre pour leurs intérêts, les libéraux qui la redoutent pour leurs principes ? Il faut donc juger le passé avec indulgence, non pas méconnaître, non pas taire les actes ou les omissions d’une politique imprévoyante ou indécise, mais lui épargner les rigueurs d’une critique rétrospective qui, pour être juste, devrait être générale. Tout le monde s’est trompé, excepté peut-être M. de Bismark. Encore faut-il espérer que la démocratie libérale de l’Allemagne saura bien lui montrer qu’il s’est mépris en matière grave, et qu’il a travaillé pour d’autres que lui.

Pour nous, il nous semble plus sage et plus utile, au lieu de reprocher aigrement les fautes commises, de rechercher ce qui les a fait commettre, et de rappeler à l’opinion comme au pouvoir quel préjugé funeste est celui qui nous porte à méconnaître les nouveaux signes des temps et à manquer à cette règle fondamentale de la politique pratique ; « changer à propos. »


I

Il y a des principes stables et qui sont de tous les siècles : ce sont les principes de justice. On pourrait dire qu’ils se réduisent