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à la justice même, principe universel dont toutes les règles politiques ne sont que des applications. C’est ce principe qui veut que, lorsqu’on a le choix des gouvernemens, on donne à tout peuple, quel qu’il soit, le plus conforme à sa dignité. Toute autre considération est secondaire et ne peut prévaloir exclusivement qu’auprès des esprits pervers ou des petits esprits ; mais le choix des gouvernemens n’est pas toujours possible. Il y a des temps de stabilité absolue où la réforme la plus sensée et la plus morale des régimes établis n’est qu’une rêveuse utopie. Il y en a d’autres, au contraire, et nous avons le bonheur laborieux de vivre dans un de ces temps-là, où il ne s’élève plus de barrières infranchissables entre les idées et la réalité, où le concours est ouvert aux nations qui peuvent à l’envi, si la persévérance ne manque pas à leurs efforts, se donner des institutions dignes d’elles, dignes de leur rang dans la civilisation générale. Dans un siècle tel que le nôtre, dans l’ère des transformations multipliées et rapides, le principe de la justice exige que la raison et l’honneur des nations soient tôt ou tard la règle de leurs institutions sociales et politiques. Ainsi le veut l’esprit de 1789, qui n’est lui-même que la première manifestation de l’esprit du siècle.

Voilà, ce me semble, la vérité permanente, fondamentale, sur laquelle il n’est pas permis de varier. L’aveuglement, la faiblesse ou l’ambition expliquent seuls la résistance, la défection ou l’hostilité de ceux qui sont restés ou devenus les adversaires de ces idées proclamées sous tant de formes diverses, et l’on nous tiendra quitte de dire ce qu’il faut penser de ceux qui, après les avoir professées à une époque quelconque, en 1815, en 1830 ou en 1848, renvoient aux faiseurs de livres l’honneur d’y rester fidèles.

Mais, cela dit, quelle diversité le temps n’apporte-t-il pas dans » la manière de soutenir, d’appliquer, de faire prévaloir ces immuables principes ! quelle succession changeante de circonstances donne un aspect toujours nouveau aux sociétés contemporaines et fait varier non le juste et l’injuste, mais le possible et l’impossible, l’opportun et l’intempestif, et prête une marche et une forme imprévues à cette force des choses toujours subsistante et tôt ou tard victorieuse ! C’est sur ce terrain des circonstances que la politique a besoin d’une clairvoyance et d’une flexibilité sans lesquelles le succès lui est la plupart du temps interdit.

Ce n’est pas qu’on doive se plier à tout, et, dès qu’une probabilité se montre, y souscrire sans examen et pousser à la roue de tous les événemens qui s’annoncent comme possibles. On peut quelquefois l’arrêter à propos. Lors même qu’une pente manifeste entraîne des sociétés rivales vers un résultat certain, il ne faut pas toujours