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près de périr, et c’est toujours au vernier du physicien, à la balance du chimiste, au scalpel du médecin, au télescope de l’astronome, que nous demanderons des renseignemens certains sur la nature. Est-ce à dire toutefois que, pendant que ce travail incessant de recherches se poursuit de toutes parts, nous n’essaierons pas de grouper les faits déjà découverts de manière à nous élever à des lois de plus en plus générales ? On essaierait en vain de lutter contre cette tendance de l’esprit humain. Il est facile de dire qu’on ne veut s’occuper que de ce qui est prouvé jusqu’à l’évidence, et qu’on veut laisser le reste aux rêveurs ; mais il est malaisé de s’en tenir à ce programme. Chacun est invinciblement amené à se faire, tant bien que mal, une idée de l’ensemble du monde. Parmi les hommes qui font faire de réels progrès aux sciences, ceux qui paraissent le plus enfermés dans la recherche des faits particuliers, ceux qui restent confinés dans la mesure patiente de certains phénomènes, ont certainement leurs théories générales, qu’ils se dispensent peut-être de livrer au public, mais qui les guident dans leurs travaux, qui les portent à aborder telle question plutôt que telle autre, qui, vraies ou fausses, leur suggèrent des aperçus nouveaux et classent pour eux les problèmes. Au-dessus de toutes les théories qui ont pu ainsi guider les hommes de science s’élève maintenant cette grandiose conception de l’unité des forces physiques. Ce n’est qu’une hypothèse ; mais elle se présente avec des garans assez fermes pour nécessiter une sorte de révision de la science entière. Elle éclairera d’un nouveau jour les faits déjà connus ; dans les questions encore confusément étudiées, elle tracera une voie aux recherches et indiquera dans quel sens il faut d’abord interroger la nature. L’hypothèse fût-elle fausse, l’expérience saura en tirer profit. Mais, dira-t-on, n’est-il pas à craindre qu’entraînés par cette image séduisante, certains observateurs n’en viennent à voir mal les faits, à vouloir les introduire de force dans le cadre qu’ils se sont tracé d’avance et à dénaturer ainsi involontairement, avant de les présenter au public, les résultats de leurs expériences ? — Sans doute cela arrivera, cela est arrivé déjà ; ce mal n’est pas bien grave, la science est assez armée contre un pareil danger, et des assertions erronées ne peuvent résister longtemps à son contrôle. — Mais, dira-t-on encore, les savans ne sont pas seuls en jeu. Votre hypothèse touche à la philosophie. Non-seulement elle comprend toute la physique, mais elle déborde sur la métaphysique. Des philosophes vont l’adopter sans doute, croyant tenir une vérité scientifique, et ils n’embrasseront qu’une chimère ! — Que répondre à cela ? C’est affaire aux métaphysiciens de bien prendre leurs renseignemens.