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Maintenant est-ce une hypothèse véritablement nouvelle que celle qui nous présente le monde physique comme composé d’atomes uniformes et de mouvemens divers ? A proprement parler, il n’y a plus guère d’idées qui puissent se produire comme tout- à fait neuves. Si l’on s’en tient aux définitions et à la surface des choses, on pourra retrouver la théorie de l’unité des forces physiques dans l’antiquité la plus reculée. Les philosophes de la Grèce ancienne n’avaient pour ainsi dire à leur disposition aucun fait scientifiquement démontré, et dans cet état de choses ils formaient sur la nature les hypothèses les plus simples ; ils avaient table rase, et rien ne gênait leur empirisme ; ils allaient donc tout droit aux conceptions les plus générales, et chacun faisait à sa manière l’unité dans le grand tout. Thalès de Milet, 600 ans avant notre ère, commençait par déclarer que l’eau était le principe de toutes choses. Cinquante ans plus tard, son compatriote Anaximène voyait dans l’air « l’élément uniforme et primitif. » L’école éléate, dans la Grande-Grèce, chercha encore ailleurs le principe universel. « Rien ne provient de rien, et rien ne peut changer, disait Xénophane, tout est de la même nature ; » cependant il demandait, pour expliquer la multiplicité des choses variables, deux élémens, l’eau et la terre. Vers l’an 500, Héraclite adopta le feu pour principe unique et pour agent universel. « Le monde n’est l’ouvrage ni des dieux, ni des hommes ; c’est un feu toujours vivant, s’allumant et s’éteignant suivant un certain ordre. » Voilà donc quatre élémens successivement proclamés, — l’eau, l’air, la terre, le feu, — et, par une sorte d’éclectisme, on en vint à les admettre tous les quatre à la fois dans la composition de l’univers. Aristote accepta ces quatre élémens, et pendant de longs siècles après lui ils servirent de base à tout système de la nature. On admettait encore les quatre élémens pendant le XVIIIe siècle, à la veille des grands travaux qui ont fondé la chimie moderne. En suivant ce mouvement général des idées, on rencontre la théorie atomistique elle-même dès les temps les plus anciens. Leucippe, un Éléate, qui vivait 500 ans avant notre ère, concevait l’univers comme formé du vide et d’une matière réelle dont la dernière division était l’atome. « Les atomes ronds, disait-il, ont la propriété du mouvement. C’est par leurs combinaisons et séparations que les choses naissent et se détruisent. Tous les phénomènes physiques sont déterminés par l’ordre et la position des atomes, et n’ont lieu qu’en vertu de la nécessité. » Démocrite d’Abdère, disciple de Leucippe, développa sa doctrine. Il attribua aux atomes, similaires entre eux, des propriétés originelles, l’impénétrabilité et une sorte de pesanteur. Pour lui, « toute influence active ou toute affection passive est un mouvement par suite d’un