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différences, un retour aux vrais principes, l’intention formelle de se passer de la main de l’état ; il serait juste d’en tenir compte. — Soit, mais à la condition que les conversions s’affermiront, et qu’on ne viendra pas, comme à Genève, demander le rétablissement des taxes de la viande et du pain. Quant aux différences entre les anciens et les nouveaux socialistes, il en existe en effet de profondes, et les voici. Les anciens, ces fous d’un autre âge, étaient les plus désintéressés des hommes ; ils ont tous scellé leur conviction par des sacrifices, pas un n’en eût fait un objet de spéculation. Leur idée fixe les préservait des petites ambitions et des petits calculs ; ils s’oubliaient comme des gens qui croient avoir charge d’âmes. En est-il de même des socialistes de la dernière heure ? Le doute est au moins permis. Il n’y a plus de maîtres, il n’y a plus de disciples, partant plus d’écoles ; il y a des cas particuliers seulement et moins une croyance qu’une mode. Quand les choses en sont là, personne ne se dévoue plus, tout le monde calcule. Dans le peuple, on est socialiste parce qu’on s’imagine y avoir un intérêt ; dans les lettres, parce que c’est un moyen de facile popularité ; dans la politique, parce que c’est le meilleur coup de filet qu’on puisse jeter dans les eaux troubles du suffrage universel. Socialiste ! mais le retour de ce mot n’est-il pas à lui seul un signe de l’état des esprits ? On essaie en vain d’en atténuer le sens ; ce sens est fixé, et personne ne prendra le change.

Encore si le mot revenait seul, mais il revient, comme on a pu le voir, avec son triste cortège. Ainsi donc la trêve survenue il y a bientôt quinze ans a manqué à l’une de ses promesses, la cure de vertiges invétérés. Comprimés, ils ont continué leur travail sourd, et à l’occasion on les voit reparaître. C’est chez les ouvriers surtout que le mal s’est réfugié ; rien n’a pu le réduire, ni le temps, ni les soins. Que d’argent néanmoins a été dépensé pour des œuvres de progrès intellectuel et d’éducation morale ! Que d’écoles fondées pour les enfans, que de conférences ouvertes pour les adultes ! Naguère encore des milliers d’auditeurs se pressaient autour des chaires de professeurs et d’économistes éprouvés qui mettaient la science des richesses à la portée des plus humbles intelligences[1]. Quel profit est-il sorti de ces leçons ? Aucun, si l’on en juge par les erreurs qui se sont débitées à Genève précisément sur les mêmes sujets : la guerre au capital, l’art des grèves universelles, le minimum de salaire, la réduction des heures de travail, c’est-à-dire autant de machines de guerre dont la moindre serait de force à réduire en poudre l’industrie la mieux constituée. Ce ne sont pourtant là que des réminiscences et les débris de vieux systèmes qui

  1. Conférences de l’Association polytechnique.