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française, à laquelle il faut mettre une main prompte et vigoureuse ; mais les instigateurs et les prophètes de suicides ministériels n’ont pas compris que la perspective de la réforme de l’armée devait au contraire retenir le vaillant et digne maréchal au service. Partir quand les principes et les intérêts des institutions militaires de la France vont être mis en question, ce serait s’en aller la veille d’une bataille. Pour un brave Crillon, ce serait le cas de se pendre. Nous ne sommes point surpris qu’en une telle occasion le maréchal Randon ait écarté ou ajourné, s’il l’avait eue en effet, la pensée de la retraite.

Au moment où les plus hautes autorités administratives et militaires du pays se réunissent en une commission imposante pour étudier la situation de l’armée française et les extensions et l’affermissement qu’il convient de donner à nos forces militaires, nous n’aurons point la présomption d’émettre sur cette grave matière des aperçus hasardeux. Il nous semble pourtant qu’en dehors des opinions qui ne peuvent être autorisées que par des connaissances techniques et pratiques, il est des idées générales que les incompétens, au nombre desquels nous nous rangeons, ont le droit de rappeler avant l’ouverture de cet important débat. D’abord, quant à la nécessité de la réorganisation militaire, elle doit saisir tous les esprits. Il s’agit ici d’une question de relation de forces simple, nette, inflexible comme un rapport mathématique, comme une loi de la dynamique qui régit les choses matérielles. Il s’agit du rapport existant entre les forces de guerre de l’Allemagne prussianisée et celles de la France. Il n’y a à mêler à ce problème d’équilibre militaire aucune préoccupation, aucun caprice d’humeur belliqueuse, aucune pensée d’hostilité de peuple à peuple. Quand l’Allemagne prussienne, comme nous voulons l’espérer et le croire, serait destinée à n’être pour la France qu’une pacifique émule et une bienveillante alliée, pour un peuple comme la France il n’y aurait de dignité et de sécurité dans une semblable amitié qu’à la condition que l’égalité fût librement maintenue entre les forces des deux nations. Or pour le moment, s’il est une chose manifeste, s’il est une chose qui parle avec éclat au patriotisme et à la prudence de la nation française, c’est qu’au point de vue de la disponibilité des forces militaires organisées, l’Allemagne prussienne a sur nous une avance énorme. Nous avons vu par la guerre de cette année que l’ancienne Prusse pouvait mettre sur pied, pour donner un coup de collier décisif, huit corps d’armée représentant 700,000 hommes. Nous annoncions, il y a quinze jours, que la Prusse, avec ses nouvelles annexions et la confédération du nord, allait ajouter trois corps d’armée, c’est-à-dire plus de 200,000 hommes à cette permanente disponibilité de forces défensives ou agressives. Ce que nous annoncions il y a deux semaines comme Une probabilité est aujourd’hui un fait, tant les Prussiens vont vite en besogne, le gouvernement prussien décrète la formation des trois nouveaux corps d’armée, tandis que nous n’en sommes encore qu’à la nomination