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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/395

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dans cette conjuration qui coûta la vie au maréchal Biron. En ce moment, l’idée du royaume des Alpes n’était pas abandonnée, et la seconde ligue qui se nouait autour d’Henri IV devait, si l’on en croit Muratori, céder à la Savoie la Provence, le Dauphiné et une partie du Lyonnais. On ne peut nier que Charles-Emmanuel n’ait mis la main dans cette conspiration qui avait pour but le démembrement de la France ; mais il en sortit au plus vite, dès qu’il eut reconnu que l’Espagne en retirerait un accroissement trop considérable de puissance.

Henri IV, ayant eu vent de ce qui se tramait, brusqua les choses, mit le duc de Savoie dans l’alternative de céder la Bresse ou de rendre le marquisat de Saluces, et sur son refus lui déclara la guerre au mois de juillet 1600. Toutes les provinces cisalpines furent occupées, toutes les forteresses tombèrent devant le roi, à l’exception de celle de Bourg, défendue par un Bressan dévoué à la maison de Savoie, le chevalier Bouvens. Il fallut se résigner à l’échange proposé. Par le traité de Lyon de 1601, le duc perdit une riche province, mais gagna une chose qui valait mieux pour les destinées de sa maison. La France avait un pied en Italie, elle en fut pour toujours éloignée par la cession du marquisat de Saluces. Le vieux Lesdiguières pour qui les Alpes n’avaient jamais été une barrière ni une frontière, qui avait été habitué à courir sur les deux versans, se montra fort mécontent de cet échange, et il disait avec dépit « que le roi de France avait fait une paix de duc, et le duc de Savoie une paix de roi. » Le duc de Savoie n’était pas de ce sentiment. Toutes ses espérances d’agrandissemens en-deçà des Alpes étaient brisées. Pendant vingt ans, il avait espéré enfoncer son royaume agrandi comme un coin au cœur de la France méridionale à la faveur des divisions qui déchiraient le pays. Maintenant il fallait non-seulement renoncer à cette idée, mais voir sa frontière reculer de la Saône au Rhône, et la France derrière plus compacte qu’auparavant. Le coup fut des plus rudes et ressenti vivement en Savoie. Tous les documens de l’époque considèrent la cession de la Bresse comme un malheur semblable à celui de la perte de Genève et de la Suisse française. Le duc irrité bannit à jamais de sa présence le principal négociateur du traité de Lyon, René de Lucinge, qui méritait pourtant une autre récompense. Rien ne peut mieux faire comprendre les dévouemens que la maison de Savoie a su inspirer autour d’elle que la douleur causée à René de Lucinge par cette disgrâce imméritée. Jeune encore, pouvant espérer les faveurs du nouveau souverain dont il devenait le sujet par la cession de la Bresse, il préféra se condamner à la retraite et vivre solitaire, lentement consumé par le regret d’avoir encouru la disgrâce de son