Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/511

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’avenir de ce côté aussi ne nous ménage point quelque surprise ? J’y croirais volontiers après ce succès de la Patti dans Crispino. Quand je vois Mlle Delaporte dans la dernière scène de Nos bons Villageois, je la trouve à coup sûr très charmante ; mais l’idée ne me vient pas que ce serait encore bien plus beau de lui voir jouer la Célimène du Misanthrope ou l’Elmire de Tartuffe.

C’est là cependant ce que les amoureux de la jolie pensionnaire du Théâtre-Italien ne cessaient de crier par-dessus les toits : « Vous la verrez dans l’art sérieux ! » Nous l’avons vue ou du moins entrevue, et franchement ce qu’elle a fait de Lucie ne vaut guère la peine qu’on en parle. Ce genre de pathétique-là n’a besoin ni de génie ni de grands trésors d’émotion ; on le réussit à merveille avec de beaux cheveux qu’on dénoue et des roulades qu’on égrène en sanglots. Ne point forcer son talent, rester dans son emploi, et quand on a commis l’imprudence d’en sortir y revenir bien vite, voilà le tact, l’habileté. Cette Anetta de Crispino e la Comare est assurément la meilleure rencontre de Mlle Patti. La Vitali, qui l’an passé jouait le rôle, n’y mettait ni ce brio, ni cette originalité. Avoir tant de verve, d’entrain, cela s’appelle au théâtre brûler les planches ; la Patti incendie la salle entière. Elle court en bondissant à travers cette musique bouffe italienne, déjà pleine de combustible, et le feu de joie s’allume à son passage. Qu’elle le veuille ou non, ce succès la classe. Et pourquoi ne le voudrait-elle pas ? Mieux vaut soubrette amusante et bien sur pied que majesté déchue.

Les reines en exil, tout le monde les connaît : c’est Desdemona, Norma, Sémiramis, dona Anna, la comtesse Almaviva des Noces de Figaro, et je doute un peu que Mlle Emmy La Grua ait en elle ce qu’il faudrait pour aider une administration à les replacer sur leur trône. MIle La Grua qui débuta jadis dans le Juif errant d’Halévy, rentre en France aujourd’hui après une absence d’environ vingt années. Elle a donc beaucoup va, beaucoup entendu, beaucoup retenu ; mais sa voix, on le suppose, a perdu tout éclat. Talent formé à bonne école, mais trop mûr, organe en désarroi dont les registres ne tiennent pas ensemble, hélas ! madame, nous vous connaissons, vous vous appeliez l’an passé Mme Lagrange. Ce n’est là ni Norma, ni Desdemona : c’est tout au plus leur ombre errante et plaintive. Et ce M. Pancani, quel Otello ! quel Pollion ! Où trouver, sinon dans la citerne de Joseph vendu par ses frères, une voix plus enrouée ? Le Théâtre-Italien professe à l’endroit de ses ténors une théorie véritablement inadmissible. A défaut de tant de raisons qui semblent désormais conspirer sa perte, un pareil système suffirait pour l’amener. A chaque instant, des figures nouvelles, des comparses évoqués on ne sait d’où à l’heure du spectacle ! Fraschini manquant cette année, à côté de M. Nicolini, le seul que le public puisse encore prendre au sérieux, on aurait pu avoir M. Naudin ; il est regrettable qu’on n’y ait point songé. Les bons engagemens font les bonnes troupes, mais ils coûtent cher. Rien de plus facile que de s’en passer ; il s’agit tout simplement de mettre la quantité à la place de la qualité, de faire défiler dans sa lanterne magique des