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fois de payer les droits au moment où ses marchandises entrent dans le port. Elles répondent pour elles-mêmes vis-à-vis du fisc et de la compagnie des docks aussi longtemps qu’elles demeurent dans les entrepôts et qu’elles ne perdent point de leur valeur. Le service se fait en grande partie par le travail des machines. Des plates-formes hydrauliques, hydraulic lifts, construites en bois, s’élevant et s’abaissant à volonté, apportent elles-mêmes les fardeaux jusqu’à la fenêtre du magasin préparé pour les recevoir. On appelle à haute voix ces escaliers mouvans, et ils arrivent. Je suis moi-même monté et descendu ainsi d’étage en étage sans avoir aucunement à remuer les jambes. Parmi ces immenses warehouses, celui qui excite le plus l’admiration est encore le dépôt des tabacs, couvrant à lui seul une surface de près de cinq acres. De hauts bâtimens à quatre étages et construits en briques s’alignent les uns à la suite des autres le long d’un quai tout couvert de tonneaux. Au bas de cette façade et de plain-pied avec la chaussée s’ouvrent de distance en distance des voûtes qui plongent dans l’obscurité : c’est l’entrée des caves.

Comme j’avais un billet de faveur non-seulement pour visiter ces caveaux (cellars), mais encore pour goûter deux sortes de vin, je m’arrêtai devant la voûte portant le numéro 5. C’était celle qu’indiquait ma carte. Un des sommeliers alluma deux lampes, m’en présenta une attachée au bout d’un long manche de bois, et se mit en devoir de me conduire. La cave où je me trouvais contient à elle seule vingt mille pièces de vin, et ce n’est point la plus grande; je pus m’en assurer en visitant le même jour les East-Crescent-Vaults (caves du Croissant-Oriental). Qui donc remerciait Dieu de ce qu’ils n’ont pas de vin en Angleterre? Je dois pourtant avouer que les vins qu’ils préfèrent ne sont pas ceux de notre pays. Les Anglais n’apprécient pas assez nos vins de France; ils les trouvent faibles et aigres. Le point d’honneur national m’oblige à croire qu’ils ont sous ce rapport le goût faussé, il me serait même facile d’en fournir la preuve. De nombreux monumens historiques proclament que le produit de nos vignobles était autrefois beaucoup mieux vu au-delà du détroit, et qu’il tenait alors une grande place sur la table des riches. Il en fut ainsi jusqu’à la suite des guerres de Louis XIV, c’est-à-dire jusqu’en 1693. Guillaume III, qui avait certes plus d’une raison pour se venger de la France, voulut alors la punir dans son commerce et dans une des branches les plus florissantes de son industrie agricole : il frappa nos vins d’un droit d’entrée exceptionnel. C’était leur fermer le marché de l’autre côté du détroit, et les Anglais durent chercher ailleurs une autre source d’approvisionnemens. En fait de vin rouge, ils donnèrent la préfé-