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le dictateur aux dépens de la souveraine autorité du congrès. Celui-ci, au lieu de suivre le sage exemple des assemblées prussiennes et de laisser le gouvernement s’emparer sans combat de tout le temporel des affaires, en se consolant lui-même par une série de protestations vaines, s’était mis à lutter corps à corps avec les prétentions usurpatrices de l’orgueilleux président.

D’un différend sérieux, mais qui n’avait rien d’alarmant pour la paix publique, l’entêtement de M. Johnson a failli faire une guerre civile. La politique conciliante dont nous l’avons loué ici même, et qui nous disposait peut-être à trop d’indulgence pour les mauvais côtés de son caractère, s’est transformée peu à peu en une politique envieuse, intéressée, violente, qui l’a ruiné à la longue dans l’estime des honnêtes gens. Entraîné par l’ardeur de la lutte électorale, il a conçu la fatale pensée de ranimer à son profit les rancunes et les colères qui couvaient encore sous les cendres mal éteintes de la rébellion, en s’appuyant sur les états du sud pour imposer sa politique et sa personne aux états du nord. En même temps qu’il flattait les passions des anciens rebelles, il se faisait dans le nord le courtisan grossier de la multitude.

Les élections qui viennent de se faire ont renversé toutes ses espérances. Au lieu de lui donner une assemblée docile, elles ont sensiblement fortifié le parti qui lui a tenu tête. Soit qu’il accepte l’humiliation en silence, soit qu’il fasse encore à la force des armes un appel inutile et désespéré, sa politique est morte et ne se relèvera plus. Bien qu’aujourd’hui les événemens aient jugé la cause et que la victoire ait prononcé sans appel, peut-être un récit fidèle de la bataille ne sera-t-il pas sans intérêt. Cette lutte victorieuse et pourtant pacifique d’une assemblée parlementaire contre un chef de gouvernement a pour nous un côté instructif et curieux. Accoutumés que nous sommes à de tout autres spectacles, nous ne pouvons voir sans un intérêt mêlé de surprise et même d’admiration quel bon sens, quelle fermeté, quel esprit de justice les États-Unis ont déployés pour se tirer sans encombre d’une crise qui partout ailleurs aurait allumé la guerre civile.


I.

On se rappelle encore quelle était la situation respective du président et du congrès lors de la rupture violente qui éclata entre eux au printemps dernier. M. Johnson, naguère si menaçant pour les états du sud, si impitoyable pour tout ce qui avait trempé dans le crime de la rébellion, était devenu tout à coup leur zélé défenseur. Moyennant certaines conditions très modérées, quoique imposées d’une main rude, il avait pris sous sa protection leurs liber-