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avait aussi la vue de Tibur, baigné par les eaux des pentes d’Æsula et des coteaux de Tusculum ; c’est un point du magnifique horizon de Rome saisi et croqué pour ainsi dire en passant par Horace. En supposant que les jardins de Mécène s’étendissent jusqu’au pied de l’Esquilin, et vinssent, ce qui est assez naturel, rejoindre le quartier élégant des Carines, on peut admettre qu’ils atteignaient le lieu où depuis Titus bâtit ses thermes sur une partie de la Maison-Dorée de Néron. Au-dessous de ces deux étages de constructions impériales, on voit des traces d’une construction plus ancienne attribuée à Mécène : c’est un reste de pavé en mosaïque, d’une élégante simplicité, qui par là conviendrait très bien à une époque encore voisine de la république et au goût exquis de Mécène ; Horace a peut-être soupé dans cette chambre, ornée d’une mosaïque aussi finement travaillée que ses vers.

Il est un poète de ce temps dont le nom ne rappelle pas la protection accordée aux lettres par Auguste, car Auguste fut son persécuteur et son bourreau : il le fit mourir consumé de la fièvre lente de l’exil, le reléguant, lui, l’aimable et brillant Ovide, à l’extrémité du monde romain. Ce n’est pas à Rome, c’est aux bords lointains du Danube qu’il faudrait aller chercher le tombeau d’Ovide, dans un pays barbare où l’on a cru en vain le retrouver. Il y a bien, près de Rome, le tombeau des Nasons, en un lieu d’où la campagne romaine se présente dans toute sa sauvage et sublime beauté, mais la cendre du plus illustre des Nasons est absente de leur sépulture. Des peintures ornaient ce sépulcre ; on avait cru y reconnaître Ovide dans un poète conduit aux Champs élyséens par Mercure et des sujets empruntés à ses Métamorphoses, mais il a fallu renoncer à cette supposition. Rien ne rappelait, dans le tombeau des Nasons, le banni qui fut leur seule gloire. Rien ne prouve que le sort lui ait accordé ce qu’il demandait à ses amis d’une manière si touchante : « Faites que mes os soient rapportés dans une petite urne ; ainsi je ne serai pas exilé encore après ma mort ; placez mes restes sous la terre aux portes de Rome. »

Inque suburbano condita solo[1].

Quelle a été la cause du malheur d’Ovide ? C’est encore un mystère. On voit, par les Tristes, que deux crimes lui étaient reprochés. L’une des accusations était ridicule : c’était d’avoir écrit l’Art d’aimer, d’avoir, comme il le dit spirituellement, enseigné ce que tout le monde sait. Louis XV mettait quelquefois les écrivains à la

  1. Ovide pensait certainement au tombeau de sa famille, à ce tombeau des Nasons qu’on a découvert à quelques milles de Rome.