Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/904

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son ami Gunther, et sur ses instances celui-ci lui avoue que sa femme Brunhilt a jusqu’à présent refusé de condescendre à ses vœux. S’imagine-t-on comment il a passé sa première nuit de mariage ? Sa vigoureuse moitié l’a battu, lui a lié pieds et mains et l’a attaché à un clou, après quoi elle s’est endormie tranquillement !… Il faut que Siegfrid intervienne encore pour mettre à la raison dame Brunhilt. Couvert de la Tarnkappe, il se glisse dans la chambre nuptiale, et après une lutte acharnée, dans laquelle il doit employer toute sa vigueur, Brunhilt tombe à bout de forces dans les bras de Gunther. « Depuis lors, dit le poème, elle ne fut pas plus forte qu’une femme ordinaire. »

Siegfrid retourne donc à Xanthe avec sa belle Burgonde et règne dix ans sur le Niderland en toute paix et en tout honneur. Cependant à Worms on est moins heureux. Brunhilt, qui se sent toujours un certain faible pour Siegfrid, est jalouse aussi de sa richesse immense, de la beauté de Kriemhilt, et soupçonne quelque mystère dans les relations du roi de Xanthe avec celui de Worms. Siegfrid s’était dit le vassal de Gunther : pourquoi donc reste-t-il dix longues années sans venir lui rendre hommage ? Elle décide enfin son mari à inviter Siegfrid et sa femme à des fêtes splendides.

À peine réunies, les deux reines se prennent de querelle. Siegfrid, lors de sa lutte nocturne avec Brunhilt, lui avait enlevé son anneau et sa ceinture pour en faire présent à Kriemhilt. Or celle-ci, allant à la messe, a une altercation avec Brunhilt sur la question de préséance. Brunhilt prétend avoir le pas sur sa vassale, mais Kriemhilt refuse de le céder à une femme qui a été la concubine de Siegfrid, en preuve de quoi elle montre l’anneau et la ceinture. Les deux époux mettent un terme à la dispute, mais non au ressentiment de Brunhilt, dont Hagene, nommé plus haut, épouse les désirs de vengeance. Le roi Gunther lui-même devient sombre, défiant, et finit par prêter l’oreille aux propositions meurtrières de Hagene. Ce qui est surtout fatal à Siegfrid, c’est que sa femme, prenant Hagene pour un ami sûr, lui confie que Siegfrid, invulnérable par tout le corps, ne l’est pas cependant à un certain endroit qu’elle lui indique entre les deux épaules. Lorsqu’il s’était baigné dans le sang du dragon, une feuille de tilleul était tombée sur cette place sans qu’il s’en aperçût. Hagene met à profit cette découverte, et dans une partie de chasse où Siegfrid avait fait des prodiges de valeur, au moment où il se penchait au bord d’une source pour étancher sa soif, le traître lui enfonce un poignard dans le dos. Siegfrid meurt en maudissant ses assassins.

On conçoit les pleurs et le désespoir de Kriemhilt. L’assassin est dénoncé par le mort lui-même, dont la blessure se rouvre à