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soucieux et désirant ramener la paix, festoie ses hôtes dans la grande salle de son palais ; mais à peine Hagene a-t-il entendu le bruit du massacre que d’un coup d’épée il fait voler la tête de l’enfant royal Ortlieb sur les genoux de sa mère Kriemhilt. En vain les trois rois rhénans veulent s’interposer. Une affreuse mêlée ensanglante la salle du festin, et bientôt les rois doivent y prendre part eux-mêmes pour vendre chèrement leur vie. Etzel et Kriemhilt ne réussissent à s’échapper que grâce à un moment de trêve obtenu par l’autorité de Dietrich. Bientôt sept mille cadavres huns s’amoncellent dans les salles ou autour du palais dans lequel les guerriers Nibelungen se défendent comme des forcenés. À la manière homérique, le poète allemand raconte une foule de combats singuliers avec provocations, argumentations subtiles, insultes réciproques ; presque toujours les hommes du Rhin conservent l’avantage.

Etzel fait offrir aux rois burgondes de sortir librement du royaume, à la seule condition de livrer Hagene. Ils refusent de sacrifier leur vassal, qui s’est compromis pour eux. Vingt mille Huns entourent alors le château et y mettent le feu par dehors. Du reste les flammes ne pénètrent pas dans la salle, et le matin, malgré une nuit passée tout entière à se battre, il y avait encore six cents Nibelungen vivans[1].

C’est alors que se déroule un des plus beaux incidens du poème. Etzel furieux n’entend pas qu’un seul des hommes du Rhin retourne vivant en son pays, et il ordonne au vieux Ruediger, celui-là même qui avait amené Kriemhilt, reçu les princes Nibelungen sous son toit et fiancé sa fille au jeune prince Gîselher, de les attaquer à son tour. Le combat qui se livre dans l’âme du vieux chevalier, partagé entre ses devoirs de vassal et sa loyauté envers des hôtes, est saisissant. Enfin l’obéissance féodale l’emporte, et il va défier le roi Gernôt, frère de Gunther ; mais il s’aperçoit que le bouclier de son adversaire s’est brisé dans les combats de la nuit, et il lui donne le sien. Voilà un trait plus qu’homérique, on est ici en pleine chevalerie du moyen âge. Le vieillard et le jeune roi s’entre-tuent. Alors les hommes de Dietrich de Bern s’avancent pour en finir. Les Nibelungen succombent à la fatigue et sous le nombre. Bientôt Gunther et Hagene restent seuls vivans. Dietrich a perdu beaucoup de ses guerriers, et, sur la promesse qu’Etzel et Kriemhilt respecteront les prisonniers, il fond sur Hagene et parvient enfin à le blesser sérieusement. Chargé de chaînes, Hagene est conduit à Kriemhilt, qui rentre en possession de la célèbre épée de Siegfrid. Dietrich triom-

  1. On se rappelle que dans cette seconde partie du poème le nom de Nibelungen est passé du peuple conquis par Siegfrid aux guerriers burgondes.