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Cette poétique pensée rappelle un beau passage du Timée, dont Goethe semble s’être inspiré : « Le suprême ordonnateur était bon, et celui qui est bon n’a aucune espèce d’envie. Exempt d’envie, il a voulu que toutes choses fussent autant que possible semblables à lui-même. » Les vers cités par M. Véra conviennent donc bien au dieu de Platon, qui est une cause, u.ne âme, un être individuel, en un mot une personne. Ils s’appliquent plus difficilement, ou, à vrai dire, ils ne sauraient nullement s’appliquer à l’idée hégélienne. Lorsqu’on dit de cette idée qu’elle s’ennuie, — de quelque espèce d’ailleurs que soit son ennui. — lorsqu’on ajoute qu’elle abandonne ceci, qu’elle brise cela, qu’elle passe dans une sphère, on ne remarque pas que ce sont là autant de sentimens ou d’actes tels qu’une âme individuelle et consciente d’elle-même peut seule les éprouver ou les accomplir. Et l’on oublie qu’au moment où l’on prête à l’idée ces divers modes de la vie psychologique, elle n’a point encore acquis cette conscience d’elle-même que, d’après la doctrine, elle ne possédera qu’au terme de son évolution. Enfin on ne répond pas à l’objection soulevée plus haut, et d’après laquelle, le mécanisme de la dialectique s’étant brisé dès l’origine, l’idée n’a pu marcher et est restée invariablement une abstraction vide, inerte, inféconde, qui n’a aucune vertu, pas même celle de s’ennuyer divinement.

Il faut bien cependant que l’idée y quelque abstraite qu’elle soit, franchisse le saut et devienne réalité. De quelle façon s’opérera cette transition difficile? Les choses se passeront au début de la Philosophie de la Nature comme elles se sont passées au début de la Logique. Ici, tout a commencé par une abstraction vide, l’être indéterminé; là, tout commencera également par un élément abstrait et vide, et cet élément sera l’espace. Voilà l’étoffe dans laquelle le philosophe va tailler en quelque sorte toutes les existences physiques. Tâchons de réduire à ses termes les plus simples et les plus clairs la description hégélienne de la naissance de la matière. On a montré un peu plus haut ce que signifie le mot abstraction, il n’est donc pas nécessaire d’y revenir. Ce qu’on nomme l’espace est, à un certain point de vue, une abstraction. Considérez un lieu de l’étendue, puis un second, puis un troisième, tous ces lieux ont cela de commun que chacun d’eux est un espace. Oubliez ces lieux particuliers, ne retenez en votre mémoire que leur caractère commun, vous aurez l’idée de l’espace en général, et ce sera une idée abstraite; mais avec l’abstrait pur, qui n’est rien, on ne peut rien faire. Hegel le rendra concret et réel. Dans l’espace, il distinguera ce qu’il appelle le point; il appellera le point un lieu, bien plus un lieu individuel, c’est-à-dire réel; puis, afin de lui donner encore