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struits sur les hauteurs voisines sont toujours habités de paysans parlant la vieille langue euskarienne. Aux frontières mêmes du pays basque, le peuple de Bayonne ne comprend point l’ancien idiome depuis douze siècles au moins, et le village de Biarritz, en dépit de son nom, se trouve également depuis la même époque en dehors des frontières de l’eskuara. De temps immémorial, la limite qui passait entre Biarritz et Bidart ne s’est point déplacée, et M. Balesque, le savant modeste qui connaît le mieux l’histoire locale, nous affirmait que dans l’espace de la dernière génération le patois gascon n’a pas même enlevé une seule maison à la langue rivale. De l’autre côté des Pyrénées, l’espagnol aurait, dit-on, refoulé très rapidement le basque, et la frontière des langues, qui se reploie aujourd’hui au nord de Pampelune (en basque Irun ou bonne ville), se serait trouvée, il y a quarante ans, au sud de Tafalla et d’Olite : l’eskuara navarrais aurait reculé de cinquante kilomètres vers le nord pendant les quarante dernières années. Ce sont là des affirmations qui reposent sans doute sur quelque malentendu, car M. Francisque Michel, qui les rapporte, nous apprend en même temps que les dialectes romans sont au moins depuis le XIVe siècle, et probablement depuis l’époque romaine, ceux de la plupart des Navarrais. En Espagne, le mouvement du commerce, des voyages et de l’émigration est beaucoup moins important qu’en France ; en outre les mœurs antiques et les institutions provinciales y ont été moins ébranlées ; il est donc prudent d’attendre des preuves positives avant d’admettre, sur la foi de quelques auteurs, la réalité de ce prodigieux recul de la langue basque depuis le commencement du siècle.

Il est facile de comprendre pourquoi les dialectes d’origine latine, l’espagnol, le français, le béarnais, n’ont point empiété sur le territoire euskarien après la période romaine. Pendant le moyen âge, l’ancienne société, jadis si puissamment centralisée dans la grande Rome, était réduite en fragmens ; chaque groupe féodal ou populaire s’était isolé des autres ; chacun avait une langue ou un patois qui ne subissait la pression d’aucun idiome voisin ; enfin, par suite de l’insécurité des routes et de l’ignorance universelle, les rapports étaient rares entre les populations limitrophes. Les empiétemens et les reculs des langues sur la frontière de deux peuples ne pouvaient alors se produire que par un mouvement d’émigration dans un sens ou dans l’autre. C’est ainsi qu’aux premiers siècles du moyen âge les grandes invasions des Tudesques germanisèrent presque toute la vallée de l’Adige ; mais plus tard, par une migration inverse qui se continue de nos jours, les paysans italiens remontèrent pas à pas les bords du fleuve, chassèrent les Alle-