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plus pittoresques la physionomie d’un champ de foire arabe. Hommes et femmes aux costumes variés, bestiaux, chameaux, chevaux, chiens, tout s’y rencontre pêle-mêle, confondu et mouvementé par la lumière d’un soleil éblouissant. En lisant cette description dans le récit de M. Palgrave, on se rappelle l’avoir vue maintes fois vivante sur la toile dans ces tableaux de genre que quelques-uns de nos peintres ont ornés de toutes les grâces de leurs pinceaux. Accordons une mention honorable à ces chiens maigres et pelés qui errent çà et là, l’œil vif et satisfait, au milieu des débris épars sur le marché ; ils ramassent et dévorent tout ce qui traîne et remplissent une fonction utile : ce sont d’infatigables balayeurs préposés à la salubrité publique. Sans eux, les villes d’Arabie ne seraient que d’affreux cloaques. Les bouchers de Riad s’en rapportent aux chiens pour maintenir la propreté de leurs étaux.

Au milieu de cette foule d’hommes, de femmes et d’animaux qui se pressent dans les quartiers voisins du marché se détachent des figures de nègres du plus pur ébène. Les noirs sont nombreux en Arabie, d’où ils arrivent directement de la côte d’Afrique par cargaisons presque régulières qui se répandent dans les différentes régions de la péninsule. Le prix d’un nègre ordinaire sur le marché de Riad ne dépasse pas 250 francs ; plus au nord, ce prix hausse de moitié. Le régime de l’esclavage est généralement très adouci par la familiarité des mœurs arabes ; en outre les actes d’affranchissement sont très fréquens, surtout dans le Nedjed. Les nègres affranchis et leur descendance conservent la marque de leur première condition ; le préjugé de la race et de la couleur existe en Arabie comme ailleurs : il est pourtant moins exclusif. Il n’est pas rare de voir les nègres se marier dans la classe moyenne, s’enrichir par le négoce, acquérir une certaine importance dans la société libre, où ils ont su se faire place ; puis, après quelques générations, les descendans des mulâtres peuvent arriver aux dignités ; on en voit qui sont décorés des titres de cheiks ou d’émirs, qui ont à leur tour des Arabes pour serviteurs et qui ceignent fièrement sur leur riche costume l’épée à poignée d’argent. La noblesse du sang et l’admission dans les anciennes familles leurs seront toujours refusées ; mais au-dessous de l’aristocratie arabe, dont l’orgueil généalogique ne souffrirait pas le moindre mélange avec le sang noir, ils trouvent facilement à se confondre dans les rangs du peuple, ils prospèrent et se multiplient au point que dans certaines villes les descendans, d’esclaves forment le quart et le même le tiers de la population. L’esclavage en Arabie ne ressemble en rien à ce qu’il était dans les anciennes colonies européennes ; ce n’est point un instrument de rude travail, c’est une forme de domesticité douce et familière, telle qu’on la représente dans tous les récits de