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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/112

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REVUE DES DEUX MONDES.

votre père attendri augmenta de huit cents francs la pension. Il repartit le cœur gros, non qu’il se souciât cle Justine : il n’avait eu pour elle qu’un caprice mort-né, les amourettes des vrais hommes d’affaires sont courtes, ils ne s’attardent pas à ces bagatelles ; mais en revanche il se souciait beaucoup de son enfant, qui n’était plus à lui. Cependant au bout de quelques jours… Votre père m’a recommandé, mon cher ami, de vous raconter son histoire sans rien déguiser, sans pallier aucun de ses torts. Pour respecter sa mémoire, vous n’avez pas besoin de croire qu’il fût un saint. Qui de nous est parfait ? Il y avait deux hommes en lui, l’homme d’affaires et l’homme de sentiment ; il s’attendrissait quand il en avait le temps ; il avait quasi des époques réglées pour cela, et son cœur payait invariablement aux échéances, jamais avant…

— Dieu ! que de paroles inutiles ! s’écria Didier en passant sa main sur son front crispé par l’impatience.

— Vous êtes difficile à contenter, reprit tranquillement M. Patru. Tantôt j’en dis trop, tantôt pas assez. Je tenais à vous expliquer pourquoi votre père se consola assez vite de son chagrin. Par malheur, au bout d’un certain temps, votre mère eut vent de ce qui s’était passé. Par qui fut-elle informée ? Je soupçonne Pochon. Elle fit des questions ; au premier mot, votre père, qui était la sincérité même, lui confessa tout. Son angélique mansuétude ne lui permit pas de se plaindre ; seulement, comme il restait un peu de la femme dans l’ange, elle mit à son pardon une condition : elle exigea que la rente payable par semestre fût convertie en une somme à payer une fois pour toutes ; sa jalousie de femme et de mère lui faisait désirer de rompre le dernier lien qui unissait encore votre père à son bâtard. C’était précisément ce que voulait aussi Pochon, et il en avait écrit à M. de Peyrols. Sa fierté trouvait qu’être pensionné est une dépendance, et il lui tardait de s’en affranchir pour pouvoir se redresser sur ses pieds d’honnête homme. En même temps il couvait le désir de se procurer des fonds pour établir une boutique d’épicerie. Tel était son rêve. Sa vertu ne voulait plus entendre parler de la rente, mais elle convoitait le capital, c’était sa façon d’avoir de l’honneur. Votre père consentit facilement à ce qu’on lui demandait. La nécessité de penser à Pochon deux fois l’an, à époque fixe, commençait à lui peser ; Pochon l’obsédait, c’était son cauchemar ; il enviait le bonheur des gens que des circonstances favorables dispensaient de s’occuper de Pochon. Il m’avait mis dans sa confidence, il me consulta. Je l’engageai à donner le capital à l’enfant, — l’usufruit aux parens ; il me répondit que Pochon n’entendrait pas à cela, que lui-même était las de recevoir les lettres de ce drôle, qu’il voulait à tout prix en finir… Bref, je vis qu’il avait du Pochon par-dessus les oreilles, et je n’insistai pas.