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entouré des séraphins qui se couvraient la face de leurs ailes et se disaient continuellement les uns aux autres :

« Saint, saint, saint, Jéhovah Tsebaoth ! — Toute la terre est pleine de sa gloire… »

Et comme il tremblait en pensant à ses « lèvres impures, » l’un des séraphins lui passa sur la bouche un charbon ardent pris sur l’autel des cieux, et lui déclara que sa parole était désormais purifiée. Il entendit alors la voix de Jéhovah qui lui donnait pour mission de prêcher au milieu du peuple d’Israël. Ce peuple se montrerait aveugle et sourd, serait puni de son endurcissement par d’affreuses calamités, et serait même totalement détruit à l’exception d’un « reste, » d’une racine impérissable qui fleurirait de nouveau dans des temps meilleurs. Cette idée du « reste d’Israël » qui ne peut périr est un des thèmes les plus fréquens de la prédication prophétique.

Cette vision est simple et forte. Il faut noter pourtant que le jeune prophète reportait dans le séjour céleste les formes consacrées autour du sanctuaire de Jérusalem. Dans ce temple du ciel, comme dans celui de la terre, il y a un autel des parfums, et les séraphins, anges de lumière, s’acquittent auprès de Jéhovah lui-même de fonctions analogues à celles que les prêtres israélites remplissent devant l’arche sainte. Du reste, dans cette description rapide, rien qui sente le dévot, l’amateur méticuleux des rituels compliqués. Le récit exprime seulement la conscience claire que le prophète possède d’avoir vocation divine pour parler au peuple ; qu’on n’oppose pas à ses austères remontrances ses faiblesses, son indignité antérieure : le charbon des séraphins a purifié ses lèvres, et l’on pressent déjà dans cette énergique image l’ardent prédicateur, dont encore aujourd’hui nous sentons palpiter le cœur tantôt d’indignation, tantôt d’espoir, dans ses harangues passionnées. Nos langues occidentales seront toujours bien froides pour reproduire les élans, les ironies, les colères, en un mot les passions condensées dans l’original. Jérôme se plaignait déjà de cette impuissance. « Si l’on pouvait, dit Luther, regarder au fond du cœur de ce prophète, on verrait que dans chaque mot il y a une fournaise. »

Avant de rechercher l’application qu’Ésaïe fit de sa brûlante éloquence aux événemens politiques, et religieux de son temps, il faut absolument que nous parlions de l’authenticité des diverses parties du livre que le canon hébreu lui attribue, On sait que sur ce point on ne peut s’en rapporter sans examen aux traditions antiques. En fait, les soixante-six chapitres qui forment le livre actuel d’Ésaïe ressemblent bien plus à un assemblage un peu confus de collections diverses, à des fragmens soudés sans beaucoup d’ordre les